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la province, les députés du tiers-état seront en nombre égal à ceux des deux premiers ordres réunis. » C’était l’affranchissement politique du troisième ordre. Minorité opprimée pendant des siècles, il devenait maître de la majorité, et, grâce à elle, tout-puissant dans l’état.

Non contens de formuler ces principes pour leur province, les députés déclaraient que les trois ordres du Dauphiné ne sépareraient jamais leur cause de celles des autres provinces, et qu’en soutenant leurs droits particuliers, « ils n’abandonneraient pas ceux de la nation. » Pour la première fois, une province stipulait pour tout le royaume. Enfin, les commissaires proposaient à l’assemblée de s’ajourner au 1er septembre. Une adresse au roi fut ensuite soumise aux délibérations ; elle reprenait chacun des griefs, sous une forme moins brève, mais avec non moins d’insistance, réclamant la convocation prochaine des états-généraux, accablant les ministres sous leurs violentes accusations, et renouvelant les témoignages de la fidélité envers le trône.

Des acclamations accueillirent ces lectures. Mounier avait été l’âme de la commission. Son esprit sage et ferme avait inspiré toutes les résolutions. Ce qu’il y avait d’essentiel était proclamé ; les questions irritantes se trouvaient omises. Les arrêtés allaient droit au but. Toute une province exprimait, par la voix de ses députés, l’ardeur de ses sentimens. La discussion fut courte et ne servit qu’à constater l’unanimité des votes et des convictions. Mounier remercia, au nom du tiers-état, le clergé et la noblesse de leur zèle pour maintenir l’union entre les ordres, et ses paroles furent couvertes d’applaudissemens. La nuit était fort avancée. Elle s’achevait au moment où le procès-verbal recevait les dernières signatures. La séance avait duré dix-huit heures. Tel était l’élan des âmes, que nul de ceux qui furent les spectateurs de ces premiers enthousiasmes n’en perdit la mémoire. Parmi les assistans admis dans le fond de la salle, il y avait des cœurs jeunes que cette séance marqua d’une empreinte ineffaçable : Camille Jordan avait dix-sept ans ; l’aîné des fils de M. Perier quinze ans ; ses frères l’entouraient. Qui sait ce que cette séance de nuit, l’éloquence de Mounier, l’entraînement de l’assemblée, ces maximes fortes et sages au service d’une conduite hardie, cette politique à la fois ardente et raisonnable ont laissé de germes dans ces âmes ? Qui oserait affirmer que, trente et quarante ans plus tard, les politiques, l’orateur de la restauration, l’homme d’état qui apprit à sa génération comment on dompte l’anarchie et les partis sans sacrifier aucun des droits de la liberté, ne se souvenaient pas de qu’ils avaient ressenti, enfans, dans le coin de la salle de Vizille ?

« L’explosion de la poudre, dit un contemporain, n’est pas plus