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le parlement de Paris avait essayé de l’appeler à son aide. La basoche et la clientèle du palais avaient seules rempli les rues et les salles. La multitude n’avait pas remué. La cherté du pain, l’absence de travail, la misère en un mot, fit descendre le bas peuple dans la rue : il y fit son apparition en avril 1789. Il n’en devait plus sortir pendant dix ans. Tandis que des bandes de vagabonds erraient sur les routes en demandant des vivres, forçaient les maisons isolées, entraient dans les fermes, arrêtaient les voitures de grains, à Paris une manufacture était pillée et brûlée. L’excès des souffrances publiques donnait lieu sur toute l’étendue de la France aux mêmes scènes de désordre et de violences.

L’esprit de la révolution, qui avait soufflé d’abord sur les parlemens, puis sur la noblesse, qui avait gagné par les écrivains la bourgeoisie des villes, s’abattit, à la suite de la disette, sur le peuple. Au printemps de 1789, il n’y avait pas de provinces où le paysan, aigri par la misère et par la vue de ses propres doléances, ne fût plus excité contre les seigneurs qu’à aucune époque de l’ancien régime.

La monarchie avait traversé bien des années de disette ; mais celle-ci n’était pas seulement la plus terrible. A l’heure où elle étendait ses privations sur tous les paysans du royaume, où elle atteignait les ouvriers des villes, où elle multipliait, avec le besoin, les atteintes à la propriété, les ressorts de l’état étaient tellement détendus que la maréchaussée était sans direction, la justice sans force, le gouvernement sans action efficace. Les vagabonds se réunirent, se formèrent en bandes ; on les appelait des brigands. Vienne l’heure des émeutes, le parti révolutionnaire aura sous la main une armée !

C’est ainsi qu’en moins d’une année, les passions se développèrent. Comment cette transformation ne se serait-elle pas accomplie ? Une rencontre de circonstances sans précédens, des publications de toutes sortes réveillant les ardeurs populaires, des calamités inouïes décuplant les souffrances du peuple, la rédaction des cahiers apprenant aux moindres villages que tout dans l’état était remis en question, l’instabilité et les privations affolant les plus calmes, tel est le tableau fidèle de la situation des campagnes dans les premiers mois de 1789.

Ce qui dominait malgré tout, c’était l’espérance. Tant de promesses ne pouvaient être vaines. Tous les abus découlaient de la constitution de L’état. N’allait-on pas tout sauver en la réformant ? D’obstacles, il n’en viendrait de nulle part. Les ordres privilégiés eux-mêmes n’avaient-ils pas réclamé les états ? La bourgeoisie serait le défenseur du peuple. Le doublement du tiers lui assurait la majorité, c’est-à-dire la toute-puissance. Le roi y prêtait les mains,