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indulgence. À la fois ingénieuse et naïve, assez bien conçue et mal exécutée, la comédie de M. Jules Adenis était en prose : elle n’avait rien par où se racheter. — En prose, pareillement, Mademoiselle Dargens, de M. Henri Amic, un drame bourgeois fort honnête, renouvelé de Claudie ou plutôt de Denise,.. une pièce de M. Dumas fils enfin, où manquait seulement M. Dumas fils : on l’accueillit poliment, on ne la soutint pas.

Il serait superflu, à l’ordinaire, de chercher une comédie, un drame en vers, ailleurs qu’au Théâtre-Français ou à l’Odéon ; la raison en est simple, et ce n’est pas que, pour jouer une pièce de ce genre, il faille absolument être payé par l’État ; mais il y faut une réunion d’acteurs exercés à dire le vers. Ce n’est qu’à l’Odéon, au Théâtre-Français, qu’on trouve une compagnie de gens qui ont appris la grammaire de cet art et l’ont appliquée habituellement, qui naguère ont fait leur rhétorique et l’ont redoublée depuis leur sortie de l’école. À l’Ambigu cependant, l’autre soir, avec la troupe de ce théâtre, tout simplement, les exécuteurs testamentaires de Julien Daillière ont fait représenter une Mission de Jeanne Darc… Qui cela, Julien Daillière ? Un poète applaudi en 1843, en 1848 : l’auteur d’André Chénier, de Napoléon et Joséphine… C’est en ce temps-là, dit la légende, qu’il avait écrit ce troisième drame, destiné à Mlle Rachel ! En 1888, il est un peu démodé, ce drame, et jamais il n’a été bien dramatique. C’est l’histoire de Jeanne Darc mise en dialogues, depuis sa vocation jusqu’au sacre du roi, depuis Domrémy jusqu’à Reims. Imaginez que, sur un théâtre, avec les meilleures intentions du monde, — celles de Julien Daillière, — cette histoire nous soit contée ainsi tout uniment, chapitre par chapitre, en prose, il y a gros à parier qu’après une heure ou deux, — ou moins, — nous filerons entre les rangs des fauteuils et gagnerons discrètement la porte. Mais de la bouche des personnages, comme inscrites avec symétrie sur des banderoles, sortent les phrases régulièrement rythmées : on les accueille jusqu’au bout, avec un pieux respect. Il y a dans cette sage ordonnance des paroles, dans son accord avec la sagesse des pensées, une vertu qui agit peu à peu : on est ému, à la longue, par ces litanies. On peut, sans grimace, honorer la mémoire du poète et lui jeter, à la fin de la cérémonie, une eau bénite qui n’est pas de l’eau bénite de cour ; on applaudit sincèrement et l’on revient content de soi. — Quand j’écrirai une pièce posthume, je tâcherai de l’écrire en vers.

L’an dernier, à pareille époque (l’été est favorable à ces fêtes commémoratives), les fils de Jules Amigues, ayant recruté une troupe et loué la salle du vaudeville, montèrent bravement une pièce de leur père, la Comtesse Frédégonde. Le sujet de ce drame-là, par exemple, était dramatique : l’aventure de Philippe de Kœnigsmarck, — le digne oncle de Maurice de Saxe, le brillant soldat, le brûlant amoureux, — et de la tendre princesse Sophie-Dorothée,