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La comédie de M. Emile Moreau, Matapan[1], est située dans une île imaginaire ; le Pain du péché, — drame d’Aubanel, a mis en vers français » par M. Paul Arène[2], — dans la campagne provençale, de nos jours ; Dieu le veut, — de M. Maurice Bouchor[3], — en Orient, au moyen âge… Oui, j’entends bien, Matapan, après ses pérégrinations, n’a trouvé d’asile qu’au Théâtre-Libre ; annoncé à l’Odéon c’est de même au Théâtre-Libre que le Pain du péché a paru ; Dieu le veut, enfin, ne s’est hasardé qu’en librairie. Mais la question est de savoir si vraiment leur qualité de drames en vers a nui à Matapan, au Pain du péché, ou bien s’ils n’avaient pas, en tant que drames, quelque vice, — racheté peut-être, jusqu’à un certain point, et non aggravé par les vers ; — la question est de savoir si M. Maurice Bouchor, poète, s’est délié du crédit des vers, ou si M. Maurice Bouchor, devenant auteur dramatique, n’avait pas quelque raison de douter de sa force et de son habileté.

Quand M. Perrin, à demi goguenard, mais à demi aimable, interrompait la lecture de M. Moreau par ce compliment : « C’est du Regnard, » il parlait des vers plutôt que de la pièce. M. Moreau, en effet, a souvent ce vers d’un seul jet, d’un son plein et réjouissant, que l’auteur de la Nuit bergamasque appelle proprement le « vers comique, » et dont il félicite à grand fracas l’auteur du Légataire. Il a même un peu de cette poésie plus concrète, plus grasse que celle de Molière, et que M. J.-J. Weiss, un gourmet, savoure avec prédilection. Ainsi doué, M. Moreau a pu croire qu’il lui serait facile d’écrire une comédie aristophanesque ; pour accomplir son dessein, il a manqué d’imagination dramatique. L’avènement impromptu d’un brigand au trône d’un pays chimérique, sa déchéance ou plutôt son abdication, voilà le principe de l’ouvrage et son terme ; c’était un cadre assez bien trouvé. Il s’agissait d’y mettre en action nos sottises politiques et sociales ; M. Moreau s’est contenté à peu près de les faire dénier. Par la salle du trône, à la queue-leu-leu, passent des personnages qui se moquent d’eux-mêmes avec complaisance : — un journaliste : il change d’opinion devant le monde ; — un médecin : il propose une drogue merveilleuse et refuse d’y goûter ; — un notable : il constate que tout va mal et demande que rien ne change ; — un chef de bureau : il ordonne à ses employés d’arriver tard, comme par le passé, pour s’en aller tôt ; — un enfant brodé de palmes vertes : il offre au roi un fauteuil, après s’être assuré que le roi n’est pas écrivain ; le roi confessant qu’il a fait quelques livres, le gnome reprend son fauteuil et se retire… Voilà le train de l’ouvrage. Même neuf, même un, le trait ne s’y trouve qu’ajusté à une sorte de couplet que

  1. Onendorff, éditeur.
  2. Lemerre, éditeur.
  3. Fischbacher, éditeur.