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Paris, et non sans analogie extérieure avec cette grande chapelle. L’exécution fut extrêmement soignée. Les matériaux étaient apportés à pied d’œuvre, préparés d’avance ; on prétend que, durant toute la construction, on n’entendit pas une seule fois le bruit du marteau, ni le bruit de la hache, ni d’aucun outil de fer.

Le roi, évidemment, s’amusa beaucoup à son petit chef-d’œuvre ; il était presque seul à s’y passionner ; ce qui frappe, en effet, c’est l’absence du peuple en tout cela. Le temple de Jérusalem fut un joujou du souverain, non une création de la nation. Nous voyons bien le plaisir qu’eurent à le construire quelques amateurs d’art phénicien ; nous ne voyons nullement l’enthousiasme des masses. Pas un acte spontané, pas un indice de vraie piété. Le roi travaille pour sa dynastie ; la foule se tait et paraît indifférente. L’ancien culte libre des hauts lieux en plein air restait évidemment le culte cher à la plus grande partie du pays.

Un trait qui caractérise le peuple juif, c’est que, plusieurs fois dans son histoire, il lui est arrivé de s’attacher à des choses qui lui avaient été d’abord imposées. Le temple fut une idée personnelle de Salomon, une idée toute politique, dont la conséquence devait être de mettre l’arche et son oracle dans la dépendance du palais royal. Au point de vue israélite pur, le temple devait sembler une déchéance. Cette localisation de la gloire de Iahvé était si peu dans le vrai développement d’Israël que, le temple à peine achevé, nous verrons les parties les plus vivantes de la nation s’en séparer, et attester par leur schisme que cet édicule n’appartenait en rien à l’essence du iahvéisme. Le temple fut une sorte de Sainte-Chapelle, comme celle de saint Louis ; non le rendez-vous de tout Israël. Tout y est fait pour le roi, rien que pour le roi et ses officiers. Les prophètes, les vrais fidèles de Iahvé voient ces innovations de mauvais œil. Le développement religieux du prophétisme, en Israël et en Juda, se fait hors du temple, jusqu’au jour où le prophétisme s’empare du temple et en fait sa forteresse. La première Thora sera conçue en réaction contre le temple ; le mosaïsme n’est en un sens qu’une réponse à Salomon. Plus tard, le grand résumé vivant d’Israël, Jésus, détestera le temple, voudra le démolir, se déclarera capable de le rebâtir spirituel. La destruction du temple par les Romains sera la condition du progrès religieux et en particulier de l’établissement du christianisme. Tous les abus du judaïsme viendront du temple et de son personnel. Pas un prophète, pas un grand homme ne sortira de la caste lévitique. Le dernier mot d’Israël sera une religion sans temple.

Sûrement, cette bâtisse d’un art mondain, quand elle sera consacrée par le temps aura sa poésie, ses fanatiques, ses fervens. On oubliera qu’elle a été construite par des adorateurs de Baal. Mais