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congrès se trouvent moins libres d’outrepasser les limites de leur domaine respectif. Dans ce vaste édifice, laborieusement construit de pièces si disparates, le pouvoir judiciaire fédéral est « la clé de voûte. »

Sans énumérer en détail les diverses mesures réglant cette juridiction supérieure, il suffit d’observer qu’elle embrasse les intérêts généraux liés à l’existence de l’Union et placés sous sa sauvegarde. À ce titre, les affaires pour la décision desquelles les cours de justice locales n’offriraient pas des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité sont naturellement du ressort des tribunaux fédéraux, soit en première instance, soit en appel.

Les dispositions principales ont à la fois pour objet de maintenir la concorde entre les diverses fractions de la république, en assurant à tout Américain la jouissance des mêmes droits sur l’étendue entière du territoire, et d’affermir la paix du dehors en faisant respecter par chacun les traités internationaux, qui sont assimilés aux lois du pays.

D’ailleurs, le pouvoir judiciaire fédéral, comme celui des états, n’intervient qu’aux conditions déjà signalées. Les questions politiques ne peuvent être débattues et réglées par lui qu’à l’occasion des procès soumis à sa juridiction.

Ce rôle d’arbitre, confié en Amérique à la magistrature, et surtout à la cour suprême, les théoriciens de la monarchie constitutionnelle l’attribuaient naturellement à la couronne, « Lorsque les citoyens, divisés entre eux d’intérêts, se nuisent réciproquement, une autorité neutre les sépare, prononce sur leurs prétentions, et les préserve les uns des autres. Cette autorité, c’est le pouvoir judiciaire. De même, lorsque les pouvoirs publics se divisent et sont prêts à se nuire, il faut une autorité neutre qui fasse à leur égard ce que le pouvoir judiciaire fait à l’égard des individus. Cette autorité, dans la monarchie constitutionnelle, c’est le pouvoir royal. Le pouvoir royal est en quelque sorte le pouvoir judiciaire des autres pouvoirs[1]. »

L’exécutif républicain reste trop inféodé aux partis, trop mêlé à leurs querelles, pour exercer une a autorité neutre, » dont la condition première est précisément l’impartialité. Aussi les Américains se sont-ils fort bien trouvés d’avoir eu recours à l’arbitrage de leurs tribunaux, de ceux du moins que l’inamovibilité élève d’habitude au-dessus des divisions politiques et des passions populaires ou parlementaires. L’accroissement des privilèges du juge est devenu en même temps la meilleure sauvegarde des droits individuels contre les empiètemens des assemblées représentatives.

  1. Benjamin Constant, Réflexions sur les Constitutions, p. 8.