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et les gouvernemens particuliers, qui se disputent le droit de l’interpréter et de l’appliquer chacun selon sa convenance et ses intérêts. La plupart des affaires citées plus haut ne sont autre chose que des épisodes de la lutte renaissant, sous mille formes diverses, entre deux puissances rivales, celle des états et celle de l’Union.

La constitution est-elle un simple traité conclu entre états souverains et pouvant être dénoncé ou rompu par eux à leur gré ? Ne doit-on pas la considérer plutôt comme la loi suprême, émanant de la volonté directe du peuple, librement consentie par lui, et obligeant les états ? Où commencent et où finissent les pouvoirs du gouvernement national et ceux des gouvernemens locaux ? Quelle est la situation du citoyen par rapport à la double juridiction dont il relève ? A qui appartient la souveraineté ? Au peuple assurément, mais auquel ? Est-ce à celui de l’état particulier, dont l’existence ne fait pas doute ? Est-ce au peuple fédéral, qui semble être une personnalité fictive ?

Chacune de ces questions se trouvait posée à la magistrature, qui épuisait pour y répondre les ressources de sa dialectique. Il Notre gouvernement national, disait le chief justice Marshall, vient directement du peuple et tire de lui sa force et sa substance même. C’est du peuple, et non des états, qu’il tient la délégation de ses pouvoirs. L’assentiment des états, agissant en leur qualité souveraine, résulte de la convocation d’une Convention constituante. Au moyen de cet intermédiaire, la constitution était soumise au peuple, qui avait pleine liberté de l’accepter ou de la rejeter. Son adoption définitive créait une obligation parfaite, liant désormais les états… D’autre part, le gouvernement central, investi d’attributions déterminées, ne peut exercer que celles-là. Il est à la fois limité dans ses pouvoirs et souverain dans sa sphère d’action. Quant aux états, chacun d’eux possède les organes essentiels d’une existence indépendante. »

Ces discussions peuvent paraître vaines à qui les envisage au point de vue abstrait. Mais, dans la vie sociale de chaque jour, les théories prenaient la forme concrète et palpable de droits ou de devoirs, d’immunités ou de sacrifices, au sujet desquels les diverses fractions du pays étaient toujours prêtes à batailler. Les constituans avaient posé un problème trop complexe, dont la solution subtile ne tombait pas sous le sens des masses. Contre les intérêts en lutte, que pouvaient des argumens de métaphysique constitutionnelle, fussent-ils développés avec l’autorité d’un Marshall ou la fine logique d’un Story ?

L’agitation alla grandissant, et il fallut faire parler la poudre. Les combinaisons démocratiques les mieux agencées n’ont pas le privilège de résoudre les difficultés insolubles dès que les volontés