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l’intervention fréquente du pouvoir judiciaire. Sa mission conciliatrice est spécialement délicate, car le pays se trouve coupé en deux sections très nettes par des intérêts radicalement opposés, et les passions violentes du dehors grondent jusqu’aux portes du tribunal. Les constituans, qui, par pudeur, n’ont pas osé nommer l’esclavage, s’étaient retranchés dans un silence prudent pour éluder la difficulté. Aux premiers mots prononcés sur la question, l’antagonisme éclata.

Dans le Massachusetts, l’esclavage fut aboli en 1781 par une simple décision de la cour supérieure locale, affirmant que les termes mêmes du bill des droits, « tous les hommes sont nés libres et égaux, » n’admettaient pas l’existence de la servitude. Cette sentence, il est vrai, lésait faiblement les citoyens d’un état qui comptait peu ou point d’esclaves. Une décision analogue de la magistrature fédérale aurait précipité peut-être l’explosion de la guerre civile.

Chaque parti attendait avidement l’opinion de la cour suprême dans l’affaire Dred-Scott. Le compromis du Missouri, qui interdisait l’esclavage au-delà de certaines limites géographiques, fut déclaré nul, et les considérans de l’arrêt rendu alors furent souvent invoqués par les défenseurs attitrés des doctrines esclavagistes. Ceux-ci purent prétendre que « l’institution particulière[1] » était reconnue désormais comme institution nationale. Des légistes américains se sont rencontrés pour soutenir que le jugement était strictement conforme à la constitution. C’est pourtant sur ce chapitre que l’on aurait souhaité de voir l’autorité judiciaire souveraine se permettre une large interprétation des textes. La cour suprême a perdu là, malgré elle sans doute, une belle occasion de parler haut et net.

Dans un ordre d’idées plus générales, les tribunaux furent appelés à régler des questions où de très graves principes politiques et religieux étaient engagés. Différentes lois, édictées de 1661 à 1788 par les chambres de la Virginie, autorisaient l’église épis-copule à posséder. L’église d’Alexandrie avait acquis, suivant les formes requises, un domaine dont elle resta paisible propriétaire jusqu’en 1793. Mais alors une loi locale nouvelle, confirmée en 1801, ordonna le retour à l’état des biens ecclésiastiques, qui furent affectés au soulagement des pauvres. La cour suprême fédérale déclara inconstitutionnelles ces lois spoliatrices, sans se laisser arrêter par le prétexte allégué pour les justifier, ni par la destination charitable spécifiée dans l’acte parlementaire.

« L’église épiscopale, dit en substance le juge Story, a obtenu

  1. C’était l’euphémisme usité pour désigner l’esclavage.