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Une question très importante surgit aussitôt, enveloppée de subtilités techniques, dont il est difficile de la dégager. Quelle est la portée, quelles sont les conséquences, restreintes ou générales, de cette intervention des cours de justice ? Les jugemens d’inconstitutionnalité ne sont-ils obligatoires que pour les parties en cause ? Doit-on, au contraire, les tenir pour des interprétations définitives, liant les autres pouvoirs ? En un mot, le juge est-il l’arbitre souverain de la loi constitutionnelle ?

Ouvert sur ce point dès l’origine, le débat n’a jamais été clos, et l’accord complet n’a pu s’établir. Les fédéralistes affirment que la suprématie de l’arbitrage judiciaire est indispensable pour assurer la suprématie de la constitution. Suivant eux, les limites prescrites ne servent de rien, dès qu’il est loisible au congrès de les franchir, sans qu’aucune autorité intervienne utilement. La cour suprême fédérale a toujours professé la même doctrine, qu’un de ses chief justice les plus illustres, John Marshall, a exposée avec « une précision toute mathématique, » selon Kent, autre jurisconsulte éminent.

Les démocrates invoquent le principe de la séparation et de l’indépendance des trois pouvoirs. Si les interprétations de la magistrature deviennent définitives, disent-ils, la responsabilité des représentans et de l’exécutif envers le peuple n’existe que de nom. La souveraineté passe à une oligarchie judiciaire, ne devant compte à personne de ses décisions sans appel. Par suite, les dispositions capitales de la constitution demeurent illusoires, et le caractère essentiel du système républicain disparaît : la volonté populaire n’a plus d’influence sur lu marche des affaires publiques.

L’antagonisme des deux doctrines se dessina nettement, sous la présidence du général Jackson, lorsque le congrès renouvela le privilège de la banque nationale des États-Unis. Précédemment, la cour suprême avait eu l’occasion de déclarer constitutionnel l’acte créant la banque. Le parti whig, reprenant la thèse des fédéralistes, soutenait que cette sentence était décisive. Mais le président, appuyé par les démocrates, prétendit que l’arrêt judiciaire ne le liait nullement, et frappa de son veto la loi sur la banque, non sans protester contre les théories de ses adversaires. « Le congrès, l’exécutif et la cour, écrivait-il dans son message, doivent agir chacun d’après leur manière respective de comprendre la loi fondamentale… L’opinion des juges ne s’impose pas plus au-congrès que l’opinion du congrès ne s’impose aux juges, et celle du président ne dépend d’aucune des deux. »

Au sénat, les paroles de Jackson rencontrèrent une opposition très vive, dont Webster fut l’éloquent orateur. De son côté, le sénateur White répondit au leader des whigs et résuma les argumens