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ne pouvant peut-être pas supprimer l’élection des juges, les Américains se flattent d’en atténuer les funestes effets par une prolongation notable du terme des fonctions. Les magistrats, élus pour quinze années dans quelques états, ont ainsi le bénéfice d’une quasi-inamovibilité.

Certes, l’effort est louable, mais l’expédient paraît rester trop souvent inefficace, malgré certaines affirmations autorisées en faveur des bons résultats obtenus. Le remède pourrait même devenir pire que le mal. On perd en effet l’espoir de se débarrasser, par un scrutin à courte échéance, des mauvais juges élus sous la pression des partis. Tant il est difficile de corriger les vices d’un système faux en principe, dont les conséquences fâcheuses se répercutent partout.

La réforme de la magistrature élective est déclarée urgente. Qu’adviendrait-il le jour où elle serait reconnue impossible ? « Pour gouverner les hommes, il n’y a que deux puissances maîtresses, celle des armes et celle des lois, dit Story. Si la puissance des lois n’est pas appliquée et mise en œuvre par des juges sans peur et sans reproche, la puissance militaire l’emporte nécessairement et triomphe des institutions civiles. »

Quoi qu’il en soit du fort et du faible de leur judicature, les républicains des États-Unis sont les seuls qui aient donné au pouvoir judiciaire un rang et une influence politiques de premier ordre dans le gouvernement de la démocratie. Cette disposition, saine et conservatrice entre toutes, est un trait caractéristique des traditions anglo-saxonnes et de l’esprit britannique librement développés. Sans prétendre mesurer la part qui revient à la magistrature inamovible, et principalement à la cour suprême, dans le succès plus ou moins complet des combinaisons américaines, on peut affirmer hardiment que cette part est noble et grande. « Il ne m’arrive pas souvent de porter envie aux États-Unis, je l’avoue, disait naguère lord Salisbury ; mais, parmi leurs créations, il en existe une que je ne puis me défendre d’envier fort : c’est leur admirable cour suprême. »


DUC DE NOAILLES.