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que ces scènes lui semblaient bien un peu longues, et qu’il était au fond moins satisfait qu’il ne voulait le paraître. On m’a dit que Bologne se glorifiait beaucoup d’être la première ville de l’Italie qui eût rendu justice à Wagner. Depuis cette époque, elle se regarde comme engagée à l’admirer, et c’est un point d’honneur pour elle de faire un brillant accueil à toutes les œuvres du maître sans exception. Je ne puis m’empêcher de le regretter. Il importe à nos plaisirs que tous les pays ne se copient pas les uns les autres. Ne nous manquerait-il pas quelque chose si la musique allemande supprimait entièrement la musique italienne, et si l’admiration que causent Lohengrin ou Parsifal chassait de nos théâtres le Mariage secret ou le Barbier de Séville ? Pour que la fête du monde soit complète, il faut que chaque peuple fasse sa partie et que tous ne chantent pas le même air.


IV

Il me reste un point délicat à toucher : ces cérémonies, destinées à célébrer les souvenirs du passé, n’ont pas tout à fait échappé aux préoccupations du présent. La politique est envahissante ; elle trouve moyen de se glisser partout, quelque effort qu’on fasse pour l’éviter. Au temps où nous sommes, quand la vie se passe au milieu des inquiétudes, qu’il n’y a rien d’assuré et que le lendemain est si obscur, il ne suffit pas de quitter sa maison pour fuir ses soucis. Même dans ces voyages qu’on entreprend pour se divertir, ils vous accompagnent. On se demande toujours si la réponse aux questions qu’on se pose ne se trouve pas dans les lieux qu’on traverse. Partout où l’on passe, on regarde, on écoute, on raisonne sur ce qu’on voit et ce qu’on entend. C’est le résultat de quelques observations faites en courant, que je voudrais exposer ici en aussi peu de mots que possible. Je me contenterai, sans autre prétention, de noter ce que j’ai vu et de répéter ce que j’ai entendu dire.

Je dois reconnaître avant tout que tous ceux qui assistaient aux fêtes de Bologne ont été frappés de l’accueil chaleureux que la population a fait au roi, à son arrivée et pendant tout son séjour. Au premier abord, il n’y a rien là de surprenant : on sait que le roi est populaire en Italie ; mais nous sommes ici dans les Romagnes, et cet ancien pays pontifical passe pour avoir gardé au cœur le levain des vieilles résistances. On nous dit qu’il y a beaucoup de mécontens et de boudeurs à Bologne, qu’en général les ouvriers de la ville sont républicains, les paysans des environs socialistes. Je me rappelle que me trouvant à Ravenne, au mois d’avril 1882, après avoir fait une excursion à S. Apollinare in classe, j’errais un peu au