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vieilles machines, qui ne vivent que d’artifice, s’arrêtent un moment, tout croule, et la ruine est si complète qu’il n’est plus possible de les réparer. C’est au moins ce qui me paraît être presque partout l’opinion commune. On est tenté de croire, quand en entend parler les Italiens, qu’ils n’en sont pas aussi convaincus que les autres. Ils répètent si souvent, et avec tant de violence, que Rome fait désormais partie intégrante de l’Italie, qu’on se demande s’ils ne redoutent pas qu’elle n’en soit un jour détachée. Nous avons entendu le syndic de la ville, et plusieurs orateurs après lui, rappeler au roi la phrase qu’il a dite récemment et qui a fait le tour de l’Italie : Siamo a Roma, et vi remarremo, perche Roma e intangibile. « vous l’avez dit, Sire, ajoutait M. Carducci, Rome est une conquête à laquelle on ne peut plus toucher, une conquête du peuple italien, pour lui-même et pour la liberté du monde. » Cette insistance montre une préoccupation dont l’excès, je le répète, nous a surpris. Mais ce qui nous a bien plus étonnés encore, c’est que, dans cette restauration qu’on redoute, on s’obstine à faire jouer un rôle à la France. On pense que nous la souhaitons, que nous la préparons, que nous sommes prêts à collaborer avec ceux qui voudront l’entreprendre. Il y a quelques mois, quand cette accusation s’est produite dans une lettre d’un sénateur italien, qui porte un nom illustre, nous avons eu quelque peine à garder notre sérieux. Il nous a semblé d’abord que c’était un de ces prétextes dont on se sert pour chercher querelle à quelqu’un, quand on n’a pas de grief véritable :


Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ;


mais il nous a bien fallu reconnaître que nous nous trompions, et qu’il y a beaucoup de gens en Italie qui croient sérieusement que nous travaillons de toutes nos forces à rétablir le pouvoir temporel. Pour être sincère, cette accusation n’en est pas moins chimérique, et je ne crois pas qu’il vaille la peine de la réfuter. Même en supposant que la droite la plus cléricale arrivât au pouvoir, ce qui est bien invraisemblable, j’affirme qu’il ne se trouverait pas un ministre assez oublieux de notre situation, assez dénué de sens politique, qui, après tant de désastres, en face d’ennemis qui nous épient, prêts à profiter de nos moindres fautes, osât nous proposer de partir en guerre pour le pape. Mais redouter une pareille entreprise sous un ministère radical, avec une chambre ennemie des prêtres, et qui passe son temps à rogner le budget des cultes, en attendant qu’elle puisse le supprimer, imaginer que M. Floquet ou M. Lockroy vont se mettre à la tête d’une croisade, c’est une véritable folie.