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n’oubliez pas que mon trésor est à sec. » — Son fils, qui, au congrès de Vienne, avait échangé le titre de landgrave contre celui d’électeur, sans se préoccuper de l’anachronisme, — car il n’y avait plus de saint-empire, — avait peine à s’expliquer les résistances qu’il rencontrait dans ses états. Il ne s’était pas aperçu, pendant son long et obstiné sommeil, qu’un esprit nouveau avait soufflé sur son pays. La domination française avait froissé la fibre nationale ; mais, imprégnée des principes de 1789, elle avait laissé des traces fécondes, elle avait appris à son peuple qu’il avait des droits, elle lui avait révélé sa force. L’affection, la loyalty renommée des Hessois pour leur dynastie, qu’aucun mauvais traitement, qu’aucune exigence ruineuse, fantasque, n’avait pu ébranler, commençait à s’affaiblir.

La chambre, qui jadis opinait du bonnet et se prêtait aux demandes les plus extravagantes, aujourd’hui discutait et réclamait des comptes ; elle voulait savoir ce qu’était devenu l’argent que le souverain avait encaissé comme prix du sang de ses sujets. Le prince essaya de tous les moyens, de la persuasion et des menaces ; pour se soustraire aux demandes indiscrètes de ses députés, il alla même jusqu’à leur offrir une charte libérale s’ils consentaient à laisser le passé sans contrôle. Ce fut en vain. Louis XIV exilait son parlement lorsqu’il se montrait récalcitrant ; l’électeur prorogea ses états pour ne plus les rappeler. A sa mort, son fils Guillaume II se montra tout aussi irrespectueux pour les institutions de son pays. Il feignit d’ignorer l’existence de la chambre ; il fallut la révolution de 1830 pour la lui rappeler. Mais il était trop tard ; sa maîtresse, la comtesse de Reichembach, qui avait fait le désespoir de l’électrice, une princesse de Prusse, fut publiquement insultée, et lui-même jugea prudent de se soustraire à l’indignation populaire. Il se réfugia à Francfort, et, sans vergogne, il chercha à Bade et à Hombourg, devant le tapis vert, dans d’humiliantes promiscuités, l’oubli de sa couronne. Après la mort de sa maîtresse, il épousa, dans sa soixante-douzième année, une charmante jeune fille, d’excellente famille, Mlle de Berleps ; il lui donna le titre et le nom de comtesse de Berghen. Il chassait de race. Son aïeul, Philippe le Magnanime, invoquait sa conformation physique et l’exemple de Salomon pour arracher à Luther et à Mélanchton, ses protégés, l’autorisation d’épouser deux femmes à la fois. Mais Guillaume II avait trop auguré de sa vaillance ; usé par les excès, il succomba à la tâche. Il mourut subitement, au mois de novembre 1847, laissant à sa jeune veuve une habitation somptueuse et ce qui restait d’une immense fortune privée, ébréchée par le jeu. Mme de Berghen secoua dans les fêtes le souvenir d’un vieillard quinteux et