tyrannique. Ses réceptions étaient princières. Elle était, en 1849, lorsque je lui fus présenté, dans l’épanouissement de la beauté. Je la retrouvai en 1853, à Berlin, toujours gracieuse, accueillante ; elle avait, dans l’intervalle, épousé le comte de Hohenthal, l’envoyé de Saxe à la cour de Prusse. Son bonheur lui coûtait un douaire de 100,000 livres de rente et le prestige que donnaient aux femmes, en Allemagne, les unions morganatiques ; elle n’avait plus de dames d’honneur, ni d’équipages princiers, ni de laquais à la livrée électorale ; mais, ce qui valait mieux, elle avait des enfans et un mari plein de cœur et d’esprit. Elle fut mêlée, à la veille de la guerre de Bohême, à un piquant incident diplomatique que j’ai raconté jadis. M. de Bismarck lui fit des confidences calculées sur ses desseins, dans un dîner qu’elle donnait en son honneur. Il lui raconta audacieusement ses plans, certain que ses paroles, aussitôt répétées au comte de Hohenthal, auraient un contre-coup immédiat à Dresde et à Vienne. L’Autriche et la Saxe procédèrent en effet à des armemens : c’était le prétexte qu’il attendait pour se dire menacé, et pour les attaquer.
En 1850, lorsque j’étais troisième secrétaire à Francfort, j’eus occasion de rendre à la comtesse de Berghen, dans d’émouvantes circonstances, un vrai service. Son frère, le baron de Berleps, avait donné sa démission de lieutenant au moment où l’électeur voulait imposer à son armée un serment de fidélité en opposition avec le pacte constitutionnel. Il était allé à Nancy, sous prétexte d’apprendre le français, mais en réalité pour se soustraire aux récriminations des officiers prussiens et autrichiens, qui n’admettaient pas qu’un soldat pût subordonner sa fidélité au souverain, à l’interprétation d’une charte. Il était parti violemment impressionné ; ses correspondances étaient devenues incohérentes : elles dénotaient un esprit et une conscience profondément troublés. Sa sœur me supplia de m’enquérir de son état et de le ramener au besoin à Francfort. Elle faisait appel à mon dévoûment dans un moment fort inopportun ; on était en plein carnaval, et j’aimais la danse. Je n’en partis pas moins sur l’heure, mais j’arrivai trop tard, lorsque déjà la catastrophe que je devais conjurer s’était accomplie. M. de Berleps, dans une heure d’égarement, se croyant poursuivi par l’électeur, méprisé par ses camarades, avait quitté Nancy précipitamment, en proie au délire de la persécution. Il avait pris la diligence pour l’Allemagne ; arrivé à la côte de Wasselonne, il s’était enfui à travers champs, et, après une course folle pendant la nuit, il s’était précipité dans l’Ill, à la Wantzenau, près de son embouchure dans le Rhin. Lorsque je revins à Strasbourg, déjà il était enterré. J’eus le triste devoir de le faire sortir de sa tombe pour constater son