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toutes les concessions énumérées dans l’impertinente adresse : la dissolution de la chambre, le jury, le renvoi des ministres, la liberté de la presse. Il finit par tout concéder, même la tolérance religieuse, qui répugnait à ses sentimens antisémitiques. Il était hébréophobe. La députation sortit du château satisfaite, triomphante. Le peuple se montra moins accommodant ; ses chaînes étaient plus pesantes que celles de la bourgeoisie ; il ne lui suffisait pas d’en alléger le poids, il espérait les secouer et se débarrasser du maître qui les avait rivées. Ne pouvant saccager l’hôtel de ville que protégeait la milice, il se porta à la prison militaire. On venait d’y conduire un officier d’artillerie qui avait engagé ses soldats à ne pas faire usage de leurs armes contre leurs concitoyens. La foule ne se retira qu’après avoir obtenu son élargissement.

L’agitation grandissait, on battait le rappel ; la police avait disparu et les ministres étaient en fuite. J’avais mieux auguré de leur vaillance. Le ministre des finances, un petit vieillard sec, autoritaire, m’avait dit, en brandissant sa canne, à l’arrivée des nouvelles de Paris : — « Je vous réponds que nous ne perdrons pas la tête comme le gouvernement français ; si la révolution nous arrive, nous la prendrons au collet, et, entre quatre hommes et un caporal, nous la conduirons au violon. » — C’était un roseau peint en fer : il fut le premier à courir. La peur est contagieuse ; l’électeur la ressentit à son tour, il suivit l’exemple de ses ministres, il rejoignit sa femme à Wilhelmshoe. Son départ ne fit qu’ajouter au mécontentement. Les bourgeois se demandaient, inquiets, s’ils n’étaient pas joués ; ils s’apercevaient tardivement qu’on ne leur avait donné, en somme, que de l’eau bénite, des promesses verbales qui n’engageaient à rien, avec l’arrière-pensée manifeste de les reprendre à l’occasion. Une nouvelle députation se transporta à Wilhelmshoe pour réclamer une proclamation consacrant solennellement les libertés concédées. Elle notifia à l’électeur que, si satisfaction ne lui était pas donnée, dans un délai de trois heures, le pays tout entier se considérerait délié de ses sermens. L’électeur était mis au pied du mur, sa couronne était en péril, il s’exécuta, heureux de s’en tirer à si bon compte ; car livré à ses propres forces, en face de la révolution qui éclatait partout, à Vienne, à Francfort, à Berlin, il ne pouvait compter ni sur l’appui de la diète ni sur l’assistance de la Prusse.

Le 5 mars au soir, la proclamation était affichée à tous les coins