Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

costume, un extérieur qui les distingue du vulgaire : c’est, pour la plupart d’entre eux, la barbe et les cheveux longs, la besace, le bâton, le manteau. Dépouiller ces attributs philosophiques eût été aussi grave pour un stoïcien, pour un cynique, que pour un religieux chrétien la violation de ses vœux. Épictète mourrait plutôt que de laisser couper sa barbe.

Sans doute, le désir de se singulariser fut pour beaucoup dans tout cela ; mais ce désir même avait parfois sa source dans de nobles motifs. « Je suis étonné, dit le Cynique de Lucien à son interlocuteur, que toi, qui conviens qu’un cithariste doit avoir une robe longue, un joueur de flûte un costume, un acteur tragique une robe traînante, tu ne veuilles pas qu’un homme vertueux ait sa robe et son costume. Tu prétends qu’il doit avoir un extérieur semblable à celui de tout le monde, quand tout le monde est vicieux. Ah ! s’il faut aux gens de bien un costume particulier, quel autre leur convient mieux que celui qui contraste le plus avec les mœurs des hommes perdus de débauches et pour lequel ils témoignent le plus d’aversion ? — Tel était, dit-il encore, le goût de tous les anciens, qui valaient mieux que nous. Aucun ne se serait laissé raser, pas plus qu’un lion. Ils pensaient que la délicatesse et la douceur de la peau ne conviennent qu’à des femmes ; ils voulaient paraître ce qu’ils étaient, c’est-à-dire des hommes ; ils regardaient la barbe comme un ornement de la virilité, de même que la crinière est celui des chevaux et des lions, auxquels Dieu l’a donnée pour rehausser leur beauté et leur parure. C’est aussi pour cela que les hommes ont reçu leur barbe[1]. »

Pour certaines âmes convaincues, embrasser la vie philosophique c’était donc, comme de nos jours, embrasser la vie religieuse. On connaît le beau portrait que trace Épictète du cynique idéal : c’est un véritable missionnaire. Il doit se dévouer tout entier à l’enseignement du genre humain. Il ne se mariera pas, car les affections domestiques pourraient énerver sa force morale. Il couchera sur la terre ; sa nourriture sera des plus simples ; il s’abstiendra de tous les plaisirs, et pourtant donnera toujours l’exemple d’un contentement inaltérable. Sous peine d’attirer sur soi la colère divine, il est interdit d’entreprendre une telle mission, si l’on ne se sent spécialement appelé et assisté par Jupiter. Le vrai cynique est auprès des hommes l’ambassadeur de Dieu ; à tout propos et hors de propos, il combat leur frivolité, leur lâcheté, leurs vices. Il

  1. Traduction française de M. Talbot. — Il semble même, d’après une anecdote de Diogène Laerce sur Bion de Borysthène, que les disciples des philosophes portaient un costume spécial.