Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là qu’elle les attire, c’est apparemment que les âmes cherchaient vainement autour d’elles ce que la doctrine est venue leur offrir. Par suite, plus une époque est corrompue, plus il est vraisemblable qu’une philosophie ou une religion austère y seront favorablement accueillies, non peut-être par la foule, mais par une élite. Tel fut le cas pour l’épicuréisme. Il dut sa fortune, non pas à sa complaisance, mais à la rigueur de ses préceptes et de sa discipline.

Voici quelques traits du tableau que nous trace l’historien Droysen de l’état moral de la Grèce vers l’an 307, au moment où Épicure ouvrait son école à Athènes. Je cite textuellement la traduction que nous devons à M. Bouché-Leclercq : « Les masses appauvries, immorales ; une jeunesse assauvagie par le métier de mercenaires, usée par les courtisanes, détraquée par les philosophies à la mode ; une dissolution universelle, une agitation bruyante, une exaltation fiévreuse. »

Pour Athènes en particulier, voici comment s’exprime l’historien : « Ces deux choses, la légèreté la plus coquette et la plus abandonnée, et la culture délicate, aimable et spirituelle qu’on a désignée depuis sous le nom d’atticisme, sont les traits caractéristiques de la vie d’Athènes sous la domination de Démétrius de Phalère. C’est une affaire de bon ton de visiter les écoles des philosophes ; l’homme à la mode est Théophraste, le plus adroit des disciples d’Aristote, sachant rendre populaire la doctrine profonde de son illustre maître, réunissant mille, deux mille élèves autour de lui, plus admiré, plus heureux que ne le fut jamais son maître. Cependant ce Théophraste, et quantité d’autres professeurs de philosophie, étaient éclipsés par Stilpon de Mégare. Quand Stilpon venait à Athènes, les artisans quittaient leurs ateliers pour le voir ; quiconque pouvait accourait pour l’entendre ; les hétaïres affluaient à ses leçons pour voir et pour être vues chez lui, pour exercer à son école cet esprit piquant par lequel elles charmaient tout autant que par leurs toilettes séduisantes et l’art de réserver leurs dernières faveurs. Ces courtisanes jouissaient de la société habituelle des artistes de la ville, peintres et sculpteurs, musiciens et poètes ; les deux plus célèbres auteurs comiques du temps, Philémon et Ménandre, louaient publiquement dans leurs comédies les charmes de Glycère et se disputaient publiquement ses faveurs, sauf à l’oublier pour d’autres courtisanes le jour où elle trouvait des amis plus riches qu’eux. De la vie de famille, de la chasteté, de la pudeur, il n’en est plus question à Athènes ; c’est tout au plus si on en parle encore ; toute la vie se passe en phrases et en traits d’esprit, en ostentation, en activité affairée ; Athènes met aux pieds des