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Astier-Réhu, tous les princes d’Athis et toutes les duchesses. Padovani du XVIIe siècle ? A peu près ce qu’il resterait des Satires de Boileau, si l’on en effaçait les faits particuliers, les interpellations et les noms propres, ceux de Chapelain et de Cotin, tous les deux académiciens, ceux de Linière et de Pradon. Ce qui est seulement à redouter et à éviter, c’est qu’en imitant de trop près le modèle on ne l’imite pas d’assez loin ; et voilà sans doute une naïveté grande, mais les peintres savent bien que c’est ce qui fait la première difficulté de leur an. Il m’a paru qu’en général M. Daudet, dans son Immortel, ne l’avait pas toujours très heureusement surmontée.

On lui a fait une autre critique ; et, dans son « Immortel » en personne, ayant reconnu des traits de plusieurs académiciens, on a déclaré que le personnage ne se « tenait » point, qu’il s’en « allait, » que la tête d’Auger n’était point à sa place sur les épaules de Michel Chasles. Comme si cependant, et de tout temps, ce n’était pas ainsi que les romanciers, que les auteurs dramatiques, que les poètes eux-mêmes ont composé leurs personnages ! Et n’a-t-on pas dit encore, — puisque c’est l’histoire de cet illustre géomètre et du faussaire Vrain-Lucas qui fait le fond, dans l’Immortel, de celle de relieur Fage et de l’historien Astier-Réhu, — qu’un historien qui sait son métier n’aurait jamais donné dans un panneau si ridicule, qu’il y fallait l’ignorance et la simplicité d’esprit d’un mathématicien ? Ce qui est peu flatteur pour les mathématiciens, et ce qui l’est trop pour les historiens. Car l’histoire de l’histoire est remplie de ces mystifications, dont les plus habiles ont été victimes. La Beaumelle, avec ses Lettres de madame de Maintenon, a trompé, trompe encore des générations d’historiens ; avec leurs fausses Lettres de Marie-Antoinette, MM. d’Hunolstein et Feuillet de Conches ont surpris Sainte-Beuve ; c’est M. Thiers qui, lorsque l’on éleva les premiers doutes sur l’authenticité des Lettres de Pascal de la collection Chasles, intervint pour la défendre, et recula de plusieurs mois la constatation de la fraude. Je ne doute pas qu’il existe encore des fabriques de faux autographes, comme il en existe de faux Rembrandt ou de faux Véronèse ; s’il s’en était glissé jusque dans les dépôts d’archives, je n’en serais pas plus étonné qu’il ne convient de l’être ; et, en tout cas c’est précisément l’affaire Vrain-Lucas qui a éveillé l’attention des historiens sur les faux autographes. M. Daudet avait donc le droit de mettre au compte de son historien la mésaventure du géomètre. Et il l’avait également, en lui donnant des traits de Michel Chasles, de lui en donner d’Auger, parce que ; personne ; après tout, n’est une combinaison tellement particulière ni surtout tellement fixe que l’un ne puisse en échanger les élémens entre eux. Combien y a-t-il de nez qui feraient mieux dans un autre virage !

D’autres, observations pourraient porter sur le décousu de la