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et pour les rapports entre grandes puissances, de l’incident le plus retentissant du jour, de ce voyage que l’empereur Guillaume II vient de faire en Russie ? Quelle est la signification, quelles seront les conséquences de la visite rendue par le petit-fils de l’empereur Guillaume Ier au tsar et à la famille impériale russe ? C’est chose accomplie, en effet. Le jeune souverain allemand est arrivé devant Cronstadt, escorté par toute une escadre, qui l’a porté jusqu’au rivage russe. Il a été pendant près d’une semaine, à Péterhof, l’hôte de l’empereur Alexandre III et de la tsarine. Les réceptions, les banquets et les cérémonies n’ont pas manqué naturellement. L’empereur Guillaume est allé passer une revue à Krasnoé-Sélo, et il a pu faire connaissance avec le régiment de Viborg, dont il est le colonel honoraire. Il a aussi quelque peu visité Saint-Pétersbourg, sans trop s’y arrêter. Il a, en un mot, passé quelques jours dans les fêtes et les galas d’une cour à la fois somptueuse et simple ; puis il a quitté Péterhof pour se rendre à Stockholm et de là à Copenhague, de même qu’il doit aller voir bientôt, dit-on, l’empereur d’Autriche, le roi d’Italie. L’empereur Guillaume a tenu visiblement, en entrant dans le règne, à s’accréditer de sa personne auprès des têtes couronnées ; mais le soin empressé qu’il a mis à commencer ses visites d’avènement par le tsar indique assez le prix particulier qu’il a tout d’abord attaché à renouer des relations plus intimes avec la Russie. Ce n’est pas seulement une inspiration de courtoisie, c’est aussi, c’est surtout vraisemblablement une pensée politique qui a conduit le jeune souverain à Péterhof, et la question est toujours de savoir quelle est exactement cette pensée, ce qu’il y a dans ce voyage annoncé et entrepris avec quelque ostentation. Que l’empereur Guillaume ait été accueilli avec une parfaite cordialité sur le rivage russe et n’ait trouvé que de la bonne grâce à Péterhof, dans l’intimité de la famille du tsar, on n’en peut douter, c’était facile à prévoir ; que M. Herbert de Bismarck, ministre des affaires étrangères de Prusse, qui seul, à défaut du chancelier, a accompagné l’empereur, ait eu des conversations particulières avec M. de Giers, et que ces représentans de deux puissans souverains se soient trouvés d’accord sur bien des points, c’est encore vraisemblable. Il est clair, dans tous les cas, qu’une visite de ce genre, que ces rapprochemens personnels, ces explications, ont pu dissiper des malentendus et n’ont dû avoir, à l’heure qu’il est, rien que de favorable à la cause de la paix. Est-ce à dire que l’entrevue de Péterhof garde d’autres secrets, que la situation générale de l’Europe soit sensiblement modifiée, qu’il y ait eu des engagemens proposés ou souscrits ? Tout indique, au contraire, que rien n’est changé, que si l’empereur Guillaume et son ministre des affaires étrangères sont arrivés avec des projets, avec des combinaisons, la Russie a tenu à rester ce qu’elle était, réservée et libre, disposée à vivre en bonne amitié avec l’Allemagne sans se lier,