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indiqué par les prophéties, « le maître de l’heure. » De toutes parts on accourut pour l’entendre ; de toutes parts on lui apporta des aumônes, non-seulement des grains et de l’argent, mais encore de la poudre, des fusils, des chevaux. Avec les fanatiques, les aventuriers et les bandits, il eut bientôt une troupe de quelques centaines d’hommes. Pour son coup d’essai, il assassina le kaïd de Médiouna et le kaïd des Sbéa, en faisant proclamer partout que leur mort était la juste punition des services qu’ils avaient rendus aux chrétiens, et qu’un tel bort était réservé à tous leurs pareils en félonie.

Ce fut le 12 avril que ces tragiques nouvelles arrivèrent au colonel de Saint-Arnaud, commandant supérieur d’Orléansville. Il se mit, le 14, en campagne, atteignit le chérif, le battit et dispersa sa bande. On pensa qu’il n’en serait plus question. Le 18, le colonel entra sur le territoire des Ouled-Djounès, qui étaient en même temps attaqués par le lieutenant-colonel Claparède et le commandant Canrobert, venus de Ténès, et par le général de Bourjolly, accouru de Mostaganem. Le châtiment infligé aux Ouled-Djounès n’empêcha pas l’insurrection de s’étendre.

Il y avait, à une lieue de Ténès, un petit poste retranché qu’on appelait le camp des Gorges. Il avait été établi, l’année précédente, pour protéger les travailleurs employés sur la route d’Orléansville, et de provisoire il était devenu permanent, à l’insu du maréchal Bugeaud, qui n’en soupçonnait même pas l’existence. Quand le lieutenant-colonel Claparède était sorti de Ténès, au lieu de faire évacuer le camp, il y avait laissé une soixantaine d’hommes du 5e bataillon de chasseurs à pied. Le 20 avril, 800 ou 900 Kabyles, conduits par Ben-Hinni, kaïd des Beni-Hidja, se glissèrent par les ravins des alentours et tout à coup envahirent le poste, dont la porte n’était pas gardée. Les chasseurs, surpris, eurent néanmoins le temps de s’enfermer dans le blockhaus, où ils ne purent être forcés ; mais leurs tentes furent mises au pillage, et, sous leurs yeux, une malheureuse enfant, la fille d’un cantinier, fut égorgée par la bande exécrable. Le lendemain, les Kabyles revinrent ; mais, pendant la nuit, le commandant de place, à Ténès, avait expédié au camp une centaine de condamnés au boulet et de disciplinaires, avec quelques sapeurs-conducteurs en guise de cavalerie ; une sortie de la garnison, accrue de la sorte, repoussa l’ennemi, qui ne se montra plus. Les résultats matériels de ce coup d’audace étaient à peu près nuls, mais l’effet moral fut immense.

Au premier avis de l’événement, le maréchal Bugeaud donna l’ordre d’envoyer par mer de Cherchel à Ténès le 2e bataillon d’Afrique, et fit diriger par terre un bataillon du 64e sur Orléansville. Cette affaire du camp des Gorges l’avait exaspéré. « Sans ce