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le journal l’Algérie. Je veux reprendre mon indépendance pour exposer mes propres idées au gouvernement et au pays. Le patriotisme me le commande, puisque j’ai la conviction qu’on mène mal la plus grosse affaire de la France. »

L’entrevue des deux maréchaux eut lieu, le 12 septembre, au château de Soultberg, dans le Tarn. Le maréchal Soult y fit à son hôte le plus aimable accueil et parut se rendre à tous ses argumens, de sorte que le gouverneur de l’Algérie s’en alla tout rasséréné passer son congé dans ses champs du Périgord. C’est de là qu’il écrivait, le 28 septembre, à M. Guizot : « Pour répondre à la sotte et méchante accusation de la Presse, qui m’appelle ce un pacha révolté, » je viens me livrer seul au cordon et je me suis présenté tout d’abord chez le ministre de la guerre. Si j’avais eu quelques craintes, son charmant accueil les aurait effacées. Il m’a fait bien voir, dans la conversation, que les déclamations de la presse avaient produit quelque effet sur son esprit ; mais, aussitôt que je lui ai expliqué mes motifs, le nuage s’est dissipé, et, pendant deux jours que nous avons disserté sur les affaires de l’Afrique, je n’ai trouvé en lui que d’excellens sentimens pour moi et de très bonnes dispositions pour les affaires en général. De mon côté, j’y ai mis un moelleux et une déférence dont vous ne me croyez peut-être pas susceptible, et cela m’a trop bien réussi pour que je n’use à l’avenir du même moyen. »

Après avoir reproduit cette lettre dans ses mémoires, M. Guizot y ajoute ce correctif : « Le maréchal Bugeaud se faisait illusion et sur les dispositions de son ministre, et sur sa propre habileté, en fait de déférence et de douceur. Le maréchal Soult ne lui était pas devenu plus favorable ; moins passionné seulement et fatigué de la lutte, il ne se souciait pas de rompre ouvertement en visière à un rival plus jeune de gloire comme d’âge, et de prendre seul la responsabilité des refus. Le maréchal Bugeaud ne tarda pas à s’en apercevoir et à retrouver lui-même sa rudesse avec son mécontentement ; mais les nouvelles d’Algérie vinrent donner, pour un moment, à ses idées un autre cours. »

Le 8 octobre, dix jours seulement après avoir écrit la lettre qu’on vient de lire, le maréchal était obligé de repartir en grande hâte pour regagner Alger.


IV

Un jour du mois de juillet, El-Hadj-Ahraed, agha des Sendja, voisins d’Orléansville, revenait du Dahra en tenue de fête ; il ramenait de Mazouna la fiancée de son. fils. El-Hadj-Ahmed était un