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crête et courir à lui deux hommes épuisés, hors d’haleine, deux carabiniers du 8e bataillon, qui, ayant, comme par miracle, échappé au désastre, lui en avaient fait le récit, en affirmant que toute la colonne était détruite, même la compagnie de carabiniers, qui avait été atteinte, disaient-ils, avant d’avoir pu gagner le marabout.

Malgré ces affirmations et malgré le silence, — c’était au moment où l’attaque de vive force était changée en blocus, — le commandant d’Exéa, qui venait de rejoindre la cavalerie, soutenait énergiquement l’avis de poursuivre la marche. Après deux heures de halte, pendant lesquelles aucun bruit de combat ne s’était fait entendre, persuadé qu’il n’y avait plus rien à faire que de se replier sur Lalla-Maghnia, et craignant même d’être devancé par l’insurrection au col de Bab-Taza, le lieutenant-colonel de Barral se mit en retraite. Il eut, en effet, un petit engagement en arrivant au col ; à dix heures du soir, il était rentré dans son poste. S’il avait cédé aux instances du commandant d’Exéa, le capitaine de Géreaux et ses carabiniers auraient été délivrés, presque sans coup férir.

Pendant trois jours, ils attendirent, prêtant, eux aussi, l’oreille aux bruits du dehors. Pendant trois jours, ils ne virent ni n’entendirent rien qui pût leur donner espoir. Les vivres n’étaient pas encore épuisés, mais c’était l’eau qui manquait. Mieux valait tomber sous le feu ou sous le yatagan que mourir de soif. Le 26 septembre, à six heures du matin, ils sortent subitement, 73 valides emportant 7 blessés, surprennent les Kabyles et forcent le passage. À neuf heures, ils ne sont plus qu’à une lieue de Djemma-Ghazaouat ; il n’y a plus qu’un ravin à suivre ; mais au fond de ce ravin coule un ruisseau, et, sans s’inquiéter de l’ennemi qui couronne les crêtes, sans écouter les officiers qui s’efforcent de les retenir, tous ces malheureux courent, se précipitent, se jettent à plat ventre, pour boire à longs traits l’eau bienfaisante. Pendant ce temps, les balles pleuvent ; Chappedelaine tombe, Géreaux tombe ; successivement ils sont frappés tous, à l’exception de douze, qui sont recueillis par quelques cavaliers et soldats sortis du camp. Un seul, le caporal Lavaissière, a rapporté sa carabine. Ainsi s’est achevé le drame de Sidi-Brahim.

La première nouvelle en était arrivée au général Thiéry, commandant supérieur d’Oran, ce même jour, 26 septembre, par une balancelle que le capitaine Coffyn avait fait partir, le 24, de Djemma-Ghazaouat. Elle arriva, le 28, à Alger, au général de La Moricière. Deux jours plus tard survenait l’annonce d’une autre catastrophe, cent fois plus douloureuse, car c’était une défaillance de l’honneur militaire.

Inquiet pour le poste d’Aïn-Temouchent, qui n’avait que cinquante hommes de garnison, le général Cavaignac, aussitôt rentré