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escadrons du 1er chasseurs d’Afrique, deux escadrons de spahis ; il y joignit deux bataillons d’infanterie légère, un obusier de montagne, 170 mulets pour porter le matériel d’ambulance, les munitions, les sacs des fantassins. De Tiaret, Jusuf se porta d’abord sur Goudjila, mais ayant ouï dire qu’après la razzia des Ouled-Chaïb Abd-el-Kader était remonté au nord, vers Teniet-el-Had, pour faire la pareille sur les Ouled-Ayad, il remonta vers Teniet-el-Had. En y arrivant, le 1er décembre, il apprit que l’émir était là d’où il venait lui-même, c’est-à-dire à Goudjija ; donc il rebroussa chemin, et se rencontra, le 4, avec le général Bedeau, qui, de Boghar, s’était mis, lui aussi, à la recherche d’Abd-el Kader. Le lendemain, les deux chasseurs, n’ayant rien trouvé à Goudjila, se séparèrent, Bedeau s’en retournant à Médéa, Jusuf continuant la poursuite.

A chaque instant il rencontrait les traces de l’émir, et il ne désespérait pas de gagner sur lui une ou deux marches ; mais l’émir, qui était rusé, ne désespérait pas de le mettre en défaut. A cet effet, il envoya ses troupeaux avec les goums par un chemin, et marcha lui-même avec ses réguliers par un autre, de sorte qu’à la bifurcation il y avait deux pistes. Jusuf avait le flair ; il ne se trompa pas et suivit la bonne. Malheureusement ses vivres étaient épuisés ; il lui fallut rentrer, le 14 décembre, à Tiaret. C’était le maréchal en personne qui allait le relever ; mais tandis qu’il croisait dans les parages de la haute Mina, entre Frenda et le Chott, dans l’espoir de saisir Abd-el-Kader au passage, celui-ci, pointant droit au nord, se jeta dans le Tell, et parut tout à coup chez les Keraïch. Quelle audace ! Il y avait autour de lui cinq maîtres d’équipage : le maréchal, Jusuf, Comman, Saint-Arnaud, Pélissier.

Le maréchal resserra l’enceinte, fit faire des battues ; le 23 décembre, à Temda, Jusuf atteignit enfin l’émir et ses réguliers, mais l’engagement ne fut pas décisif, de sorte que, le lendemain, le gouverneur, écrivant au ministre de la guerre, se crut obligé d’insister sur l’effet moral de ce petit combat : « Cet événement que nous poursuivions depuis si longtemps, disait-il, doit produire un très bon effet politique. Néanmoins, nous ne devons pas nous dissimuler que si cette belle troupe, qui entoure l’émir et fait la terreur ou l’espoir des tribus arabes, a été gravement entamée, elle n’a pas été détruite. Abd-el-Kader a couru personnellement de très grands dangers, et peut-être a-t-il été blessé. Il a évidemment éprouvé là un grand échec moral et matériel, mais il est homme à s’en relever, pour peu que nous lui donnions quelque relâche. Il réparera ses pertes en recrutant chez les tribus qui lui restent encore, et il saisira les occasions que lui présentera la fortune pour effacer les impressions de sa défaite au combat de Temda. »