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la faveur publique par des déclarations empreintes d’un fervent libéralisme. On lui répondit par des pamphlets et des caricatures. On l’appelait « méchant comédien, » on le comparait à Néron : « Si ton peuple est assez dénaturé pour ne pas te chasser, disait un de ces libelles ; sache que nous ne te laisserons pas salir notre bannière tricolore. » La direction du mouvement national lui échappait, ses manifestations patriotiques ne portaient plus, il était discrédités. Il perdait une partie magnifique qu’il n’avait tenu qu’à lui de gagner, au lieu de ceindre la couronne qui s’offrait à son ambition, il subissait dans l’opinion, suivant l’expression d’un journal, un second Iéna. De tous côtés retentissait le mot : « Il est trop tard ! » mot cruel qu’un poète n’avait pas craint de jeter, du haut de la tribune française, à une mère vaillante qui, dans une heure suprême, était venue comme Marie-Thérèse, avec ses fils, faire appel au patriotisme[1].


VIII

Cassel, comme toutes les résidences allemandes, vivait des dépenses de la cour ; elle aspirait au retour du souveraine Mais, après tant de violences subies, l’électeur était peu tenté de rentrer dans sa capitale. Elle ne lui offrait aucune sécurité. Il restait obstinément à Wilhemshöhe, où il avait ses derrières assurés, couvert par les immenses forêts qui, depuis la sortie du château, s’étendaient, à plus

  1. Quelques semaines après les scènes émouvantes du Palais-Bourbon, Mme la duchesse d’Orléans, abandonnée, errante, chercha un refuge à Eisenach, au pied de la Wartburg, dans le voisinage de Cassel. Elle revoyait l’Allemagne, qu’elle avait quittée en 1887 le cœur épanoui, avec l’espoir de trouver le bonheur sur le trône qui venait de s’écrouler, soulevée comme la France, livrée aux saturnales révolutionnaires. Son oncle, le grand-duc de Weimar, mit à sa disposition une modeste habitation au centre de la ville. Elle y vécut solitaire et résignée avec ses enfans et quelques serviteurs. Elle connut l’abandon, l’amer chagrin de la proscription. L’exil est pour les princes une pierre de touche ; il leur apprend à connaître tardivement les dévoûmens sincères. De rares amis firent le pèlerinage d’Eisenach. Mme la duchesse de Galliera fut au nombre de ceux, qui ne se laissèrent pas rebuter par un long et périlleux voyage à travers des pays en révolution. Elle resta fidèle à Mme la duchesse d’Orléans, comme elle resta fidèle à la France, qui gardera de son hospitalité et de sa royale charité un impérissable souvenir.