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presse, Sire. — Les misérables ! Eh bien ! soit, » dit le roi en frappant du poing.

Et l’aide-de-camp, à chaque réclamation nouvelle, accueillie par des invectives, reparaissait sur le balcon, et traduisait en termes gracieux les paroles échappées au courroux de sa majesté.

Les Hanovriens savaient à quoi s’en tenir sur le libéralisme de leur maître et sur les tendances de l’aristocratie ; aussi, pour se prémunir contre tout retour, prirent-ils leurs précautions. Ils adjoignirent aux membres des états des codéputés pour contrôler leurs paroles et surveiller leurs actes. En gens pratiques, ils les choisirent de préférence dans la classe des mauvais débiteurs, en ayant soin de s’assurer une part dans les indemnités de séjour qu’ils leur avaient fait allouer.

La liberté s’imposait irrésistible à tous les princes, aux plus entêtés, aux plus intraitables. Ils la subirent avec plus ou moins de bonne grâce et de résignation. Si le roi de Hanovre ne céda devant la tourmente qu’avec une fierté dédaigneuse, en grand seigneur, l’électeur de Hesse succomba sans dignité, sans élégance, comme un supplicié qui se débat sous l’étreinte de la corde. Il n’eut d’énergie que par soubresauts.


IX

L’Allemagne, au commencement de mai, après deux mois d’absolue liberté, était livrée à l’anarchie. Le désarroi régnait dans les sphères gouvernementales, et la révolution s’affirmait dans les rues, tumultueuse et souvent sanglante. Pas une ville qui ne connût l’émeute. On était plus près de la guerre civile que de l’union. Sur tous les points de la confédération, les assemblées démocratiques, passionnées, ignorantes, se donnaient pour tâche d’avilir les gouvernemens et de désorganiser de fond en comble les rouages administratifs. L’unité de l’Allemagne restait à l’état de problème, abandonnée au hasard des événement, aux passions des hommes. Tout le monde la désirait, mais personne ne savait de quelle façon la réaliser[1]. Comment placer sous la même autorité une trentaine

  1. Cassel, 14 juillet. — « Il y a dans le courant qui pousse les peuples de race allemande vers la fusion une force irrésistible, qui ne permettra à aucun membre de cette grande famille de s’isoler à volonté. Mais à côté du grand travail dans lequel l’Allemagne se débat pour arriver à l’unité, et qui n’est pas à la veille de se réaliser, il s’en opère un notre, moins apparent, moins prononcé, qui tend à réunir sous un même gouvernement des souverainetés sorties d’une même souche. S’il s’est formé en Hesse un parti qui rêve le rétablissement de l’ancien landgaviat, qui, dans le XVIe siècle, du temps de Philippe le Magnanime, comprenait l’électorat, le grand-duché de Darmstadt, les principautés de Hesse-Hombourg et de Hesse-Barchfeld, c’est en Thuringe surtout que le mouvement de fusion se développe avec intensité et cherche à faire disparaître les petites souverainetés issues de la ligne Ernestine. Tous ces pays qui se touchent et qui, par le contact, sont toujours restés fraternels, aspirent à une union particulière en dehors du mouvement général. Si leurs espérances se réalisaient, on assisterait à un spectacle imprévu, à celui d’une médiatisation spontanée séparatiste, qui pourrait rendre moins facile l’unification telle qu’on la comprend à Berlin. »