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funérailles ; il se rendit en grande pompe, suivi d’une escorte militaire et d’une députation de l’assemblée nationale, au palais de Thurn-et-Taxis. Il prononça son oraison funèbre au bruit du canon et des cloches qui résonnaient comme celles des agonisans. Ce fut un moment solennel. Les députés de l’église Saint-Paul croyaient rendre les derniers devoirs à une morte ; ils voyaient la patrie, hier encore morcelée, sortir unie, radieuse et puissante, d’une tombe à jamais scellée. Ils ne se doutaient guère qu’avant peu ils disparaîtraient à leur tour, et que la morte qu’ils enterraient ressusciterait sur les débris de leur œuvre éphémère. « Il s’avance déjà sur le théâtre, dit le moraliste, d’autres hommes, qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles ; ils s’évanouiront à leur tour, et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus ; de nouveaux acteurs auront pris leur place. »

Le cabinet de Vienne avait profité du désarroi qui régnait à la cour de Berlin, des contradictions de sa politique, pour séduire ou corrompre les chefs de la démocratie ; il les avait gagnés à ses vues, si bien qu’ils ratifiaient la déchéance de la Prusse et trouvaient légitime la prépondérance autrichienne. Les gouvernemens ne se réjouissaient pas moins de l’échec des Hohenzollern ; l’archiduc était pour leur indépendance un gage précieux, car l’Autriche était leur protectrice naturelle. Aussi le roi de Wurtemberg, les grands-ducs de Bade et de Hesse-Darmstadt, s’empressèrent-ils de venir à Francfort pour complimenter le vicaire et lui promettre leur concours. Se mettre en règle avec le vainqueur a toujours été la politique des cours secondaires.

Les princes, après une complète prostration, reprirent courage. L’incertitude qui pesait sur leur avenir leur avait enlevé toute énergie. Ils espéraient maintenant ressaisir, peu à peu, les rênes qu’ils avaient abandonnées. L’armée devenait leur grande préoccupation ; ils la voulaient forte pour mater la révolution et tenir en respect la France, qui leur valait de si cuisantes épreuves. C’est avec leur assentiment que le général de Radowitz, le délégué de la Prusse, demandait au parlement 700,000 hommes. Ce n’est pas qu’on redoutait des complications avec la Russie, le gouvernement prussien répondait de ses dispositions pacifiques ; mais, depuis qu’un prince de la maison d’Autriche se trouvait à la tête de l’Allemagne, on se plaisait à considérer la question italienne comme une question allemande. On voulait s’opposer à une intervention française dans les affaires de la péninsule. On s’attaquait à la duplicité de la maison de Savoie ; on n’admettait pas que l’Italie, qu’on protège aujourd’hui et dont on caresse les passions, pour les exciter contre nous, eût le droit de s’affranchir. Les contradictions ne coûtent pas A l’Allemagne.