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« Les Allemands, écrivais-je, se laissent aller aux rêves les plus ambitieux. Les succès des armées autrichiennes en Italie ont exalté les imaginations ; l’Allemagne y puise un sentiment exagéré de ses forces, elle voit déjà la péninsule, comme du temps des Höhenstaufen, sous sa domination. Les plus timorés, ceux qui, au lendemain de la révolution de Février, n’envisageaient la guerre qu’avec terreur, se montrent rassurés ; ils la considèrent aujourd’hui comme une nécessité, comme l’unique moyen d’asseoir et de consolider l’unité. Ils en arrivent, comme les réactionnaires, à souhaiter une lutte contre la France. — Il y a deux mois, on eût lapidé quiconque se serait permis de préconiser l’alliance russe. On n’est plus aussi chatouilleux. Une alliance offensive et défensive avec la Russie contre la république française n’effarouche plus personne. Nos journaux se bercent d’illusions en prenant à la lettre les sympathies que quelques orateurs, individuellement, nous témoignent parfois ; elles sont loin de traduire les sentimens du parlement. Les haines endémiques que nous inspirons ne sont qu’endormies ; elles n’attendent qu’une occasion, qu’un prétexte pour se réveiller et se manifester. Le parti républicain seul se sent, dans une certaine mesure, par affinité de principes, attiré vers nous ; mais il est en minorité ; les progrès qu’il avait faits au début, en face de souverains affolés, se sont arrêtés brusquement dès le triomphe de l’ordre en France, après les journées de Juin. Depuis ce moment, la réaction a été continue, et, avec l’affermissement du principe d’autorité, elle ne fera que s’accentuer davantage. »

L’électeur ne fut pas le dernier à relever la tête. Il avait jugé prudent de faire le mort depuis les démêlés de ses gardes du corps avec les habitans de Cassel. Mais, dès qu’il vit le principe d’autorité s’affirmer à Francfort, il essaya de remonter sur la bête qui l’avait désarçonné. Ses ministres avaient beaucoup à se faire pardonner ; en voyant le vent tourner, ils lui lâchèrent quelque peu la bride. Ils trouvaient que le pouvoir avait du charme et que, « s’il était bon à prendre, il était bon à garder. » M. Eberhard, le ministre de l’intérieur, oublia que, le 13 mars, de concert avec les Turner, il avait tramé la chute du « tyran. » Il sévit contre les bandes armées qui, sous le nom de Freyschaar, dominaient la capitale. Pour s’assurer la faveur du maître, il alla jusqu’à intenter des poursuites contre quelques chefs du parti démocratique. La France connaît ces conversions. Voici près de cent ans qu’elle voit des ambitieux s’attaquer aux gouvernemens, et, lorsqu’ils les ont renversés, commettre les mêmes fautes, tolérer les mêmes abus et, pour conserver le pouvoir, se livrer aux mêmes capitulations.

Il avait suffi des journées de Juin et de leur sanglante répression pour modifier en Allemagne le cours des événemens. Le