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échauffourée. Le prince Lichnowsky et le général d’Auerswalden furent les dernières victimes par le fait d’une bravade. Ils s’étaient promenés à cheval dans les environs de la ville, sans se préoccuper des bandes qui battaient la campagne. Reconnus, ils furent poursuivis à coups de pierre et de pistolet. Ils eurent l’imprudence de chercher un refuge dans la maison d’un jardinier ; les insurgés y pénétrèrent à leur suite et les massacrèrent impitoyablement. Le général d’Auerswald fut tué sur le coup ; le prince Lichnowsky subit le martyre. On le transporta, atteint d’une balle dans les reins, frappé à la tête d’un coup de hache, les jambes mutilées, dans l’habitation de plaisance d’un banquier ; il expira après plusieurs heures d’agonie dans les bras du baron et de la baronne de Bethmann. Il avait les allures d’un condottiere ; après avoir bataillé en Espagne dans les bandes de don Carlos, et séduit les brunes et les blondes, il s’était fait dans les chambres prussiennes et au parlement de Francfort, avec un souffle parfois éloquent, le champion provocant des doctrines réactionnaires. « Cela sent la canaille ici ! » disait-il, tout haut, en entrant à l’église Saint-Paul.

L’émeute de Francfort et son dramatique épilogue allaient permettre enfin aux princes de réprimer les écarts de la presse et de fermer les assemblées populaires, toutefois sans pouvoir encore solidement ressaisir les rênes qu’ils avaient laissées tomber dans des heures d’affolement. Elle fournit à la Prusse l’occasion d’affirmer sa puissance militaire, de l’imposer à l’opinion et de devenir le centre et l’âme du mouvement unitaire. À Berlin, on avait besoin de l’influence morale du parlement pour s’emparer de l’Allemagne, et à Francfort, depuis que l’Autriche faisait défaut, on ne pouvait plus se passer de l’appui effectif de la Prusse. L’assemblée nationale commençait à regretter la faute qu’elle avait commise de dissoudre la diète, et à reconnaître que l’unité était irréalisable sans le concours des gouvernemens. Le roi Frédéric-Guillaume, pour gagner ses sympathies et la ramener à sa politique, lui donnait des gages ; il rappelait quelques-uns de ses agens diplomatiques, il mettait ses troupes au service du pouvoir exécutif. Mais ses scrupules monarchiques s’opposaient à un intime et sincère rapprochement.

L’ordre avait remporté, le 18 septembre, sa première victoire ; il avait triomphé, coup sur coup, à Francfort et à Cologne ; il avait écrasé les corps francs qui, à Lörrach, dans le grand-duché de Bade, étaient parvenus à organiser un simulacre de gouvernement républicain ; mais le succès de la répression n’avait en rien compromis la cause de la liberté. Le temps des congrès réactionnaires de la sainte-alliance était passé ; le prince de Metternich était en fuite, et son système s’était écroulé avec lui. Les institutions