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compter avec les Croates, commandés par le ban Jellachich, et plus tard avec les Russes, commandés par le prince Paskiewitch.

Les événemens étaient de toutes parts menaçans, et l’on discutait à Francfort, en face de l’état anarchique de Berlin et des saturnales de Vienne, placidement, comme dans une académie, sans s’arrêter aux réalités, le pacte qui devait présider aux destinées de l’Allemagne. Les uns voulaient détruire, par une simple motion, toutes les souverainetés, et diviser l’Allemagne en vingt et une provinces d’une importance égale, sans s’inquiéter des rois et des peuples. Ils s’inspiraient de la constituante française et des principes de 1789, qu’ils refusent de célébrer aujourd’hui. Les autres voulaient exclure l’Autriche, purement et simplement, parce qu’elle était un composé d’états non allemands. Il en était qui voulaient la démembrer, l’amputer, lui enlever ses provinces allemandes et les incorporer au futur empire ; ils lui reprochaient d’avoir manqué à sa mission, qui était de faire triompher la culture germanique dans les pays musulmans, et de s’être laissée absorber par les races slaves. Ils l’excommuniaient au profit de la Prusse, qui décidément prenait la corde.

Les politiques avaient des scrupules ; ils supputaient le pour et le contre, comme s’ils eussent été les maîtres d’exclure du corps germanique où d’y annexer qui bon leur semblerait. Ils se demandaient impertinemment si, au lieu de s’incorporer les parties allemandes, en répudiant le reste, il ne conviendrait pas mieux de laisser l’Autriche telle quelle, et de l’associer compacte à l’Allemagne, pour en faire le satellite et l’instrument de la puissance germanique. Tous ces graves problèmes étaient soulevés et débattus doctement. On eût dit qu’il dépendait des législateurs de l’église Saint-Paul de disposer au gré de leurs systèmes et de leurs passions de la monarchie des Habsbourg. — « Je crois à la mission de l’Allemagne dans le monde, disait solennellement M. de Gagern, le président de l’assemblée et son orateur le plus écouté, et l’une de ses tâches est de civiliser l’Orient ; les peuples du Danube doivent être nos satellites dans notre marche continue et persévérante vers le Levant. Ce n’est pas que je veuille nier le principe des nationalités en excluant les provinces autrichiennes allemandes ; mais le démembrement de l’Autriche serait un attentat contre l’Allemagne, car il entraverait notre action sur le monde oriental. Aussi l’Autriche doit-elle conserver toutes ses forces, les exercer librement, comme si elle était une puissance distincte, et se rattacher à nous par des traités particuliers pour nous honorer et nous servir. » L’égoïsme des patriotes allemands est farouche ; ils ne tiennent aucun compte des susceptibilités et des intérêts d’autrui, ils ne consultent que leurs convenances, ils exigent qu’on « les honore