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au-dessus de celui de la comédie, prétendre y voir le génie tragique de Corneille outrepassant comme instinctivement les bornes du genre comique, c’est croire les genres plus étroitement déterminés qu’ils ne l’étaient alors, et surtout c’est juger la comédie de Corneille, non pas même avec celle de Molière : Tartufe ou le Misanthrope, mais avec celle de Regnard dans l’esprit : les Folies amoureuses ou le Légataire universel. Du temps de Corneille, il n’était pas encore interdit au poète comique d’être ému en riant. Au surplus, et avec autant de vraisemblance, n’induirait-on pas de quelques scènes de Don Juan ou du Misanthrope que Molière était né, lui aussi, pour la tragédie, si nous ne savions de certitude, par son Don Garcie de Navarre, de quelle manière, quand il l’a tenté, ce maître du rire a traité le sérieux du drame et de la passion ? Mais il serait presque plus vrai de dire, en songeant au Cid et même à Polyeucte, ou encore à Don Sanche, à Nicomède, à Pulchérie, qu’il y a bien moins de traits de tragédie épars dans les comédies de Corneille que de traits de comédie jusque dans ses tragédies. C’est là même, on le sait, une part de ce que l’on a quelquefois appelé le « romantisme » de Corneille, le mélange ou l’alternance des tons, et, par rapport à la tragédie de Racine, — plus humaine pourtant, mais tout de même plus soutenue, — c’est un caractère notable de la sienne.

Que faut-il encore penser de la légende du Cid, et Corneille a-t-il eu besoin de M. de Châlon, « ancien secrétaire des commandemens de la reine Marie de Médicis, » pour se mettre à l’école de la littérature ou du théâtre espagnols ? Le père Tournemine l’a dit, M. Bouquet le croit, et, n’en ayant point de raisons, je ne veux pas les en contredire. Mais, dans l’un des livres que j’examine, celui de M. Charles Arnaud sur l’Abbé d’Aubignac, je ne puis m’empêcher de relever cette phrase : « L’arrivée en France d’une autre reine italienne, amie des lettres et des arts, les conversations de la famille Pisani de Rambouillet, le succès du cavalier Marin, avaient dégoûté la société polie de la littérature espagnole. » Est-ce que par hasard M. Charles Arnaud aurait placé quelque part en Italie le marquisat de Pisani ? Je croyais qu’il fût aux environs de Saintes. Si Marie de Médicis était une « reine italienne, » est-ce qu’Anne d’Autriche ne serait pas une « reine espagnole ? » Et, puisqu’il s’agit en cet endroit de la règle des unités, est-ce que l’auteur de Don Quichotte ne l’avait pas aussi nettement formulée que Scaliger ou Castelvetro ? Durant la première moitié du XVIIe siècle, — et sans qu’il y ait lieu de distinguer les époques, — la littérature espagnole et la littérature italienne ont régné concurremment ; elles ont contribué l’une et l’autre ensemble à la formation de cette « société polie, » que l’on prétend qui s’en serait dégoûtée ; le gongorisme a