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dura l’interruption de la pension, aussi longtemps allait durer le silence irrité du poète.

Eût-il duré toujours ? C’est ce que nous ne saurions dire ; et, pour l’honneur du « grand » Corneille, on se plaît à croire que de toute manière, un jour ou l’autre, l’amour-propre, le regret des applaudissemens du théâtre, le dépit de se voir oublié tout vivant, le besoin même d’écrire, eussent fini par l’emporter sur ce mécontentement d’avare ; mais toujours est-il qu’on ne l’en tira qu’à prix d’or. En 1657, lorsque le surintendant Fouquet commença de répandre, parmi les gens de lettres, des libéralités — dont c’est le cas de dire qu’elles ne lui coûtaient guère, si elles leur faisaient beaucoup de plaisir, — Corneille jugea que le temps était venu d’en réclamer sa part. Sa traduction de l’Imitation de Jésus-Christ, qu’il avait dédiée au pape Alexandre VII, ne lui avait pas rapporté ce qu’il en espérait. Par l’intermédiaire de l’obligeant Pellisson, il fit donc demander à Fouquet une audience, qui fut presque aussitôt suivie du rétablissement de sa pension. On y mit pour condition qu’il reviendrait au théâtre ; et, afin de lui ôter, nous dit son neveu Fontenelle, « toutes les excuses que lui aurait pu fournir la difficulté de trouver des sujets, » ce fut Fouquet eu personne qui voulut bien lui en proposer trois. On ne sait pas quel était le premier ; le second était Camma, que, pour en faire profiter les siens, il s’empressa de déléguer à son frère Thomas ; le troisième était Œdipe, auquel il se mit tout de suite, qu’il écrivit en deux mois, et qui fut représenté pour la première fois au commencement de l’année 1659.

Le succès en fut grand, l’un des plus grands que Corneille eût remportés encore ; et il devait être durable. Non-seulement, en effet, dans sa nouveauté, on y courut en foule, et les précieuses en proclamèrent l’auteur « le plus grand homme qui eût jamais écrit des jeux du cirque ; » mais, plus tard, de 1680 à 1700, par exemple, nous voyons que l’Œdipe n’a pas eu moins de cinquante-six représentations à la ville, c’est-à-dire beaucoup plus que Polyeucte, mais un peu moins pourtant que Rodogune. Nous savons, d’autre part, que, dans le même temps, de toutes les tragédies de Corneille, Œdipe est celle que Louis XIV a le plus souvent redemandée, dix-neuf fois contre Polyeucte onze, et le Cid onze fois, également, — et seulement. Que si, d’ailleurs, ce succès nous étonne, la raison en est plus surprenante encore, puisqu’on la cherchant nous apprenons que c’est justement celle qui nous gâte aujourd’hui la lecture d’Œdipe, bien loin d’en pouvoir soutenir la représentation. On admira et on applaudit dans la tragédie de Corneille


L’art dont il y mêlait aux grands événement
L’héroïque beauté des nobles sentimens ;