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gouvernaient l’état sous sa direction officieuse et qu’elle protégeait de son influence, le financier Orry, le cardinal del Giudice, grand inquisiteur d’Espagne, Ronquillo, corrégidor de Madrid, les ministres, les membres du despacho, étaient liés d’autant plus étroitement à sa fortune, qu’ils étaient condamnés d’avance, pour la plupart, à perdre leur situation si elle quittait l’Espagne. Ils pensaient donc et parlaient comme elle. On conçoit que, dans de telles conditions et de telles circonstances, la tâche du marquis de Bonnac fût particulièrement ingrate, et que ses démonstrations politiques dussent être médiocrement goûtées.

Nous l’eussions laissé assurément exposer de sa main, à nos lecteurs, les curieux incidens de la journée du 29 mai 1712, pendant laquelle il plaida longuement et à diverses reprises, soit devant la princesse des Ursins, soit devant Philippe et la reine, la grande cause que lui avait confiée Louis XIV, s’il ne nous avait paru qu’en reproduisant ici tout entière la dépêche de vingt-cinq pages[1] qui en rend compte au roi, nous dépasserions les limites de cette étude, et qu’il fallait, par conséquent, nous contenter d’une simple et fidèle analyse. Mais nous permettrons à Bonnac de parler, lui-même, toutes les fois qu’il pourra le faire sans allonger démesurément notre récit.

C’est par Mme des Ursins que Bonnac commence, le 29 mai, aux premières heures du jour, les grandes manœuvres de la périlleuse journée dont l’issue, quelle qu’elle puisse être, doit avoir de si graves conséquences pour l’Europe et pour les Bourbons. Si la camarera-mayor peut être gagnée aux désirs de Louis XIV, la forteresse sera bientôt conquise, puisqu’elle en a la clé dans sa poche. Après lui avoir exposé ces désirs, il lui exprime en termes convaincus a la confiance que Sa Majesté prenait en son zèle pour son service. » Pendant qu’elle répond à cette chaleureuse invite par quelques banales assurances de dévoûment et de respect, la porte de la salle où délibère en ce moment le conseil, sous la présidence de Philippe, vient à s’ouvrir. Le jeune roi paraît inopinément. Il reçoit, des mains du ministre de France, la lettre qui contenait les affectueux avis de son aïeul, lui exprime le regret de ne pouvoir lui parler en ce moment et lui promet de l’accueillir à quatre heures du soir. Cette première audience dure à peine une demi-heure. Après avoir écouté, sans interrompre, les développemens par lesquels le ministre commente la dépêche royale : « L’affaire est d’une grande importance, dit Philippe, et demande une mûre

  1. Cette dépêche était entièrement chiffrée, comme toutes celles dont nous citons « tes extraits dans cette étude.