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acquise, produira de nouvelles demandes auxquelles Philippe sera tenu d’obéir par déférence pour son aïeul, qui conduira lord Bolingbroke à Fontainebleau et lord Lexington en Espagne, qui aboutira enfin à la séance fameuse du 5 novembre 1712, dans laquelle le petit-fils de Louis XIV, la main droite étendue sur l’évangile, jura, devant les représentons du peuple espagnol, qu’il renonçait, pour lui et sus descendons, à la couronne de France. Notre récit serait fastidieux s’il retraçait tous les détails de cette négociation laborieuse, incomplet et obscur s’il n’en présentait point au lecteur les principaux incidens.

« Je n’ai pas perdu de temps, — écrivait de sa main Louis XIV à son petit-fils, dans la dépêche du 13 juin 1712, dont nous avons déjà cité les premières lignes, — à faire savoir en Angleterre votre décision. Elle sera vraisemblablement celle de la paix. Il faut présentement que vous fassiez dresser incessamment le projet de l’acte que cette couronne vous demande et dont le sieur de Bonnac vous parlera. »

Les instructions adressées à celui-ci sont datées de la veille :

« Les alliés désirent que mon petit-fils renonce par un acte particulier, pour lui et pour ses descendans, à ses droits sur ma couronne. Puisque sa résolution est prise et qu’elle est présentement publique, il n’y a pas de temps à perdre à faire dresser cet acte… Faites-lui connaître la nécessité d’en écarter toutes les clauses douteuses et capables de causer quelque embarras à la négociation de la paix. Puisqu’il veut renoncer à ses droits, il faut que cette négociation procure le repos public, et le roi d’Espagne agirait contre ses propres intentions s’il retardait présentement la paix par de vaines difficultés. »

C’est d’ailleurs en Espagne, et non pas en France, que l’acte de la renonciation doit être rédigé. Il faut que Philippe en prenne l’initiative et en dicte les termes lui-même. Si cet acte lui était expédié de Versailles, pour recevoir purement et simplement sa signature, ne pourrait-on pas dire qu’il a été contraint de la donner, et que, par conséquent, sa renonciation, obtenue de force, doit être considérée comme nulle et non avenue ? Il convient aussi de respecter en sa personne la dignité royale, et de ménager la fierté légitime du peuple espagnol : « Je vous prie de presser qu’on envoie au plus tôt l’acte de renonciation, qu’il faut, par toutes sortes de raisons, faire dresser à Madrid et non à Paris… On pourrait dire que Sa Majesté catholique souscrit d’autant plus facilement qu’Elle sait que la renonciation en est nulle et qu’elle ne peut jamais subsister ; ce sont de fort mauvais propos à tenir dans la circonstance[1]. »

  1. Louis XIV à Bonnac, 29 juillet 1712.