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L'ETAT MODERNE
ET
SES FONCTIONS

I.
L’ÉTAT, LA SOCIÉTÉ ET L’INDIVIDU. — LA GENÈSE DES FONCTIONS DE L’ÉTAT.

La conception que se font de l’état, de sa nature et de son rôle, les hommes de notre temps, paraît singulièrement confuse. Les attributions incohérentes, souvent contradictoires, qu’ils lui confient, témoignent du manque de netteté et de précision de leurs idées. Quand elle veut aborder ce thème d’un intérêt si décisif pour les destinées humaines, leur pensée flotte dans les brouillards. Les mots de liberté, de progrès, d’initiative individuelle, de devoir social, d’action de l’état, d’obligation légale, se heurtent, comme au hasard, dans la bouche de nos législateurs et dans les écrits de nos polémistes. Il semble que beaucoup d’entre eux soient atteints de cette singulière maladie de la mémoire que l’on nomme aphasie, et qui consiste à prendre pour exprimer une idée un mot qui n’a avec elle aucun rapport : quand ils prononcent liberté, il faut entendre servitude ; quand ils articulent progrès, il faut comprendre recul.

Cette notion de l’état et de sa mission, je voudrais l’examinera nouveau. Bien d’autres, certes, l’ont fait dans ces derniers temps. L’Académie des Sciences morales et politiques, en 1880, prenait pour sujet de l’un de ses nombreux concours : le rôle de l’état dans