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conçoit que M. Wagner, de Berlin, placé plus près de la manifestation la plus brillante de l’état actif et paissant, ne témoigne pas d’un moindre enthousiasme. La tâche immense de l’état se divise, pour lui, en deux parties, dont chacune apparaît presque comme illimitée : la mission de justice (Rechtszweck des Staates) et la mission de civilisation (Cultwzweck des Staales). Par cette mission de justice, il ne faut pas entendre le simple service de sécurité matérielle, mais des fonctions multiples, variées, incommensurablement plus étendues et susceptibles chaque jour de développement nouveau. M. Wagner y comprend ce que M. de Stein appelle « l’idée sociale, » die Sociale Idee, qui doit pénétrer l’état moderne. Cette idée sociale concerne surtout l’élévation de la classe inférieure. Alors interviennent des distinctions métaphysiques : il faut distinguer dans cette personnalité suprême que nous appelons l’état sa volonté, der Wille, qui est le pouvoir réglementaire, et son action, die Thätigkeit. M. Schæffle, le plus ingénieux des économistes allemands, celui dont les écrits commencent à être le plus admirés, depuis 1870, par toute la nouvelle clientèle scientifique de l’Allemagne, les Italiens, dans une moindre mesure les Espagnols et les Portugais, M. Schæffle, un instant ministre du commerce de l’empire autrichien, consacre quatre gros volumes à analyser tous les organes et toutes les fonctions du corps social, comme si c’était un corps réel en chair et en os, et nous représente gravement que, dans ce corps social ainsi minutieusement décrit, l’état représente le cerveau. Les écrivains que nous venons de citer, cependant, ne sont pas des théoriciens purs, des philosophes ou de nuageux jurisconsultes ; ils s’occupent de matières pratiques, de finances notamment. Leurs études sur le budget et sur les impôts auraient dû retenir un peu leur exaltation. Que sera-ce de ceux qui planent dans des sphères encore supérieures et qui n’attachent jamais leurs regards à ces choses viles, l’équilibre des recettes et des dépenses, la gêne des contribuables, les frais de poursuite, etc. ? Ils dogmatiseront ou pontifieront en l’honneur de cette grande idole, l’état, encore plus librement. « Le but véritable et direct de l’état, dira Bluntschli, c’est le développement des facultés de la nation, le perfectionnement de sa vie, son achèvement par une marche progressive, qui ne se mette pas en contradiction avec les destinées de l’humanité, devoir moral et politique sous-entendu. » La clarté n’illumine pas tout ce morceau ni tous ceux qu’on y pourrait joindre. Mais les actes d’invocation à une puissance supérieure et mystérieuse, ce qu’est l’état pour ces écrivains allemands,