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jusque-là réservé aux individus ou aux associations libres. Le déficit des budgets est le seul frein aux ambitions et aux envahissemens de l’état contemporain. Mais plus ou moins contenu dans son action, il prend sa revanche par un exercice de plus en plus étendu de sa volonté, c’est-à-dire de son pouvoir réglementaire, qui, lui, est gratuit ou à peu près.

On a pris l’habitude de rejeter sur la paix armée, sur les découvertes qui transforment incessamment l’outillage maritime et militaire, la responsabilité des charges et des déficits des peuples de l’Europe. C’est ne Voir qu’une des deux causes du mal. S’il en était ainsi, les budgets seuls du pouvoir central se seraient considérablement accrus ; tout au contraire, les budgets locaux, ceux des provinces ou départemens et ceux des communes ont encore plus démesurément grossi, et, avec leur prodigieuse enflure, se trouvent plus à l’étroit que les budgets nationaux. Dans ces derniers aussi, la part des services non militaires s’est singulièrement développée. Il résulte de statistiques prises sur les documens officiels que les dépenses des services civils en Angleterre atteignaient seulement 1,721,000 livres sterling en 1817, et se sont élevées graduellement à 2,507,000 livres en 1837, à 7,227,000 livres en 1857, à 8,491,000 livres en 1867, à 13,333,000 livres en 1877, et enfin à 16 millions de livres en chiffres ronds en 1880, soit approximativement, à ces diverses dates, 62 millions de francs, puis 180 millions, 212 millions, 335 millions, et enfin 400 millions de francs ; de 1817 à 1880, les dépenses des services civils ont donc sextuplé ; depuis 1867 seulement, elles ont presque doublé. Un changement dans la forme des statistiques britanniques ne m’a pas permis de poursuivre la comparaison après 1880 ; mais on peut estimer, d’après certains indices, qu’il s’est produit une augmentation nouvelle d’au moins 10 pour 100 de 1880 à 1886.

Les budgets locaux portent les marques beaucoup plus évidentes des inévitables effets de la nouvelle conception qu’on se fait de l’état. Donnons la première place à un pays qui ne mérite plus son ancien renom d’être l’adversaire de l’intrusion gouvernementale, la Grande-Bretagne. En 1868, les localités du Royaume-Uni, comtés, bourgs ou paroisses, ne puisaient à l’impôt ou à l’emprunt qu’une somme de 913 millions de francs, chiffre déjà bien respectable, et qui eût fait frémir M. Robert de Mohl ou MM. Fisco et Yan der Straeten, évaluant, il y a trente ou quarante ans, à 312 millions de francs le montant des taxes locales directes dans l’Angleterre proprement dite et le pays de Galles. En 1873, les localités britanniques n’ont encore besoin que de 1,025 millions de francs, dont 337 millions proviennent d’emprunts. Mais, en 1884, ces voraces administrations locales demandent 1,568 millions de francs à