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ministre, dira-t-on ; mais, dans la série nombreuse des ministres de tout pays, il s’en trouve au moins autant de mauvais ou de médiocres que de bons. C’est à un grand homme du moins, à un vrai grand homme, Napoléon, que, un quart de siècle après, s’adresse Fulton ; et ce grand homme d’état considère ces essais comme des enfantillages. Si l’état dédaigne la vapeur et est lent à l’appliquer, ce n’est pas lui non plus qui invente ou qui applique le premier l’hélice. L’inventeur Sauvage passe d’une maison de dettes dans une maison de fous. Pour les communications publiques, il en est de même. Trois petits chemins de fer fonctionnent en France, à la fin de la restauration, créés par l’initiative privée, sans subvention d’aucune sorte ; l’état met une dizaine d’années à discuter sur le meilleur régime des voies ferrées, et, par ses tergiversations, ses absurdes exigences, il retarde d’autant, comme nous le montrerons plus tard, le développement du réseau ferré dans notre pays. La drague à couloir de M. Lavalley avait creusé depuis dix ans le canal de Suez, qu’on commençait à peine à l’introduire dans les travaux de ports exécutés par l’état français. Ni les câbles sous-marins, ni les percemens d’isthmes, ni aucune des principales œuvres qui changent la face de ce monde, ne sont dus à l’état ou aux états. L’état moderne affecte une prédilection pour l’instruction : ce sont des particuliers qui créent l’École centrale des arts et manufactures ; ce sont des industriels qui instituent les écoles de commerce de Mulhouse, de Lyon, du Havre. L’état, dans un rare moment d’initiative, veut fonder une école d’administration ; il n’y réussit pas. Un simple particulier crée l’École libre des sciences politiques, et lui gagne en quelques années, dans les deux mondes, une éclatante renommée. L’état se lasse des anciens procédés d’instruction qu’il avait empruntés à une société privée, celle des jésuites, et il se prend d’engouement pour l’œuvre d’une autre société privée, celle de l’école Monge ; il veut aussitôt en généraliser les principes sur tout le territoire. Ce n’est pas que nous voulions contester les services que l’état rend d’autre part, les perfectionnemens de détail que plusieurs de ses ingénieurs ou de ses savans introduisent ou répandent. Certes, l’état a à son service des hommes distinguas, des hommes éminens ; la plupart, cependant, quand ils en ont l’occasion, préfèrent quitter l’administration officielle où l’avancement est lent, pédantesque, assujetti au népotisme ou au gérontisme, pour entrer dans les entreprises privées qui placent immédiatement les hommes au rang que leur assignent leurs talens et leurs mérites.

Comment en serait-il autrement ? L’esprit, comme dit l’Écriture, souffle où il veut. La sagesse moderne a traduit cette grande censée par cette autre formule : Tout le monde a plus d’esprit que Voltaire. Ce n’est pas dans les cadres réguliers, prudemment