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croit à la fin bien avant l’arrivée de Paolo et de Francesca. Dans cet ensemble excessif abondent, il est vrai, les détails intéressans, les idées distinguées, élégantes, les trouvailles d’harmonie et surtout d’instrumentation. M. Tschaikowsky orchestre à merveille. Il pense quelquefois comme Schumann (plus d’un de ses lieder en témoignerait) ; quelquefois aussi il orchestre comme Mendelssohn, avec la même transparence et la même légèreté. On pourrait lui reprocher seulement de temps en temps un peu trop de violence. En somme, voilà un musicien avec lequel on aimerait à faire plus ample connaissance, nous ne lui disons pas adieu, mais au revoir.

Savez-vous que le Conservatoire se met en frais, qu’il fait plus maintenant que conserver, qu’il révèle ? C’est à lui que nous avons dû l’an dernier la belle symphonie en ut mineur de M. Saint-Saëns ; nous lui devons cette année la messe en ré de Beethoven, sans parler du Ludus pro patria de-Mme Augusta Holmes. Ludus pro patria ! N’allez pas croire à quelque traduction du tableau de M. Puvis de Chavannes. Mme Holmes ne fait pas de la fresque en musique, il s’en faut. Elle n’aime ni le gris, ni la pénombre, ni les lointains vaporeux, ni les contours fuyans. Quelle poigne, et quelle touche virile ! Selon Mme Holmes, poétesse autant que musicienne, il y a trois jeux patriotiques : chanter, aimer et forger. Le second est évidemment le plus séduisant et peut-être celui qui a le mieux inspiré Mme Holmes. Aussi bien on savait ce qu’elle pouvait dire à ce sujet depuis certaine romance fort remarquable, intitulée Éros. Nous l’avons entendue, ou réentendue récemment à Barcelone, chantée à merveille par M. Maurel ; c’est le comble de l’amour, voire de la volupté. Il y a surtout une troisième strophe, Oh ! mais une troisième strophe à faire revenir un mort. — La partie amoureuse de Ludus pro patria n’a pas cette faveur, mais elle a du moins beaucoup de grâce ; le chœur des jeunes gens et des jeunes filles s’appelant dans la forêt est une page charmante, d’un tour et d’un rythme heureux. Le morceau d’orchestre intitulé la Nuit et l’Amour rappelle trop certaines inspirations de Gounod et de M. Massenet : l’adagio du ballet de Faust ou l’adagio analogue du ballet l’Hérodiade (les Phéniciennes, je crois). On a un peu abusé de cette coupe mélodique et de cette instrumentation. Quant aux parties vigoureuses du Ludus pro patria, j’avoue ne les goûter qu’à demi. Tout cela veut être grand et n’est que gros, souvent tapageur et vulgaire. C’est da patriotisme turbulent, qui sent les concours de gymnastique et les bataillons scolaires ; on dirait une allocution de M. Déroulède en musique.

Une œuvre colossale domine toutes les œuvres entendues cette année et depuis bien des années, c’est la messe en ré de Beethoven. Elle a déjà fait couler des flots d’encre ; elle en fera couler encore. Tant de gens ont voulu la prendre comme terrain de combat, voir en