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nom de Times et le rendait célèbre dans le monde entier, dut le jour à une de ces conceptions bizarres, de ces hobbies qu’enfourchent volontiers les Anglais et qu’ils n’abandonnent pas facilement.

John Walter, imprimeur, et disposant d’un certain capital, était féru de l’idée de simplifier le travail des compositeurs. Le fait que certains mots usuels revenaient fréquemment dans l’impression des livres l’avait frappé. Il inventa ce qu’il appelait le langage logographique, prit un brevet, et, pour l’exploiter avantageusement et en démontrer la suprématie, créa le Register. Il fit fondre en grandes quantités et d’une seule pièce les mots d’usage courant, convaincu qu’il réaliserait à l’aide de ce procédé une économie notable de temps et de main-d’œuvre. Mais il se trouvait en présence d’une masse hétérogène de mots nécessitant une multiplicité de cases dont il n’avait pas prévu le nombre. Une étude minutieuse l’amena à la conclusion que la langue anglaise comprenait environ 90,000 mots ; après un labeur acharné, il n’était parvenu à réduire ce total qu’à 5,000, exigeant un espace tel, un maniement si compliqué, qu’il fut obligé de renoncer à son impraticable invention et d’en revenir aux procédés ordinaires de composition. Cette tentative lui coûta cher, car il s’entêta avec une obstination toute britannique et n’abandonna la partie qu’à bout de ressources.

Le Daily Universal Register était alors une modeste petite feuille, du format d’une double lettre, imprimé sur papier grossier, ne contenant que quelques nouvelles saillantes, sans aucune appréciation des événemens, des avis de mariages, naissances et morts, et un petit nombre d’annonces. Il se vendait 3 pence, 0 fr. 30, et à ce prix trouvait encore des acquéreurs.

La plus importante des inventions est peut-être celle dont les progrès ont été les plus lents. Découverte en 1438, l’imprimerie n’avait encore, en 1781, produit que vingt journaux nés viables, parmi lesquels nous nous contenterons de citer les gazettes publiées à Nuremberg (1457), à Cologne (1499), à Venise (1570), à Francfort (1615), la Gazette de France (1631), qui succéda au Mercure français, etc.

Le titre choisi par John Walter pour son journal n’était pas heureux. Lui-même donna les raisons qui l’engagèrent à en adopter un autre. — « J’entre au café. Garçon, apportez-moi l’Annuaire (Register). — Et le garçon de me répondre invariablement : — Nous n’avons pas de livres de bibliothèque, monsieur. Vous trouverez l’Annuaire au café de la Bourse. — Et au café de la Bourse, si vous demandez l’Annuaire, on vous apporte l’Annuaire de la cour, ou celui de la ville, de l’année, mais jamais mon journal, ce dont j’enrage. »