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de ces états de virulence atténuée était transmissible par hérédité aux générations issues de ces microbes modifiés. Or, puisque le charbon ne récidive pas, chacun de ces microbes charbonneux atténué constituait pour le microbe supérieur un vaccin, c’est-à-dire un virus propre à donner une maladie plus bénigne. Quoi de plus facile, dès lors, que de trouver dans ces virus successifs des virus propres à donner la fièvre charbonneuse aux moutons, aux vaches, aux chevaux, sans les faire périr, et pouvant les préserver ultérieurement de la maladie mortelle ?

Les mêmes expérimentateurs devaient d’ailleurs constater encore un fait non moins important. Lorsque, en effet, la bactéridie charbonneuse a été privée de toute virulence pour le cobaye, le lapin et le mouton, on peut lui restituer son activité par des cultures successives dans le corps de ces animaux. Ainsi, la bactéridie, inoffensive pour un cobaye âgé d’un mois, peut encore tuer un cobaye âgé d’un jour : si on inocule un second cobaye avec le sang de ce dernier, et un troisième avec le sang du second, on observe alors que la virulence de la bactéridie, ou, en d’autres termes, son aptitude à se développer dans l’économie, se renforce graduellement, au point de pouvoir bientôt tuer le cobaye d’un mois, d’un an, puis le mouton lui-même.

Ce sont là les faits sur lesquels repose la vaccination charbonneuse, telle qu’elle a été introduite dans la pratique vétérinaire par M. Pasteur. Cette vaccination se fait par deux inoculations successives de virus à deux états d’activité différens : la première, avec le premier vaccin, qui ne préserve que partiellement les animaux, et la deuxième, avec le deuxième vaccin, beaucoup plus actif que le premier, et qui achève de les rendre complètement réfractaires au charbon. Par l’inoculation successive de ces deux virus atténués, on provoque chez les moutons, les chèvres, le bœuf, le cheval, une maladie extrêmement affaiblie, dans l’immense majorité des cas, suffisante cependant pour conférer aux animaux une immunité solide contre le charbon expérimentalement inoculé ou spontané. La fameuse expérience de Pouilly-le-Fort, qui avait donné des résultats absolument démonstratifs sur la réalité de cette immunité, fut bientôt suivie d’expériences publiques analogues en Autriche-Hongrie, en Allemagne, en Italie, en Belgique, et partout les résultats confirmèrent la théorie. Aujourd’hui, les inoculations préventives contre le charbon sont entrées dans la pratique courante ; personne, parmi ses plus ardens adversaires, n’en conteste plus le principe, et on ne discute plus que sur leur valeur économique. En effet, comme il arrive toujours quelques accidens, bien rares à la vérité, du fait de l’inoculation, il est évident que, dans les régions où la maladie charbonneuse ne sévit que très exceptionnellement sur les