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certains élémens nécessaires à la végétation des microbes qui avaient produit cette maladie.

Une seconde théorie, dite théorie du contre-poison, a été surtout défendue par M. Chauveau. Elle admet que la première atteinte d’une maladie virulente donne naissance à une substance toxique pour le microbe parasite, qui rend l’organisme désormais inhabitable a ce même microbe. Cette théorie avait été inspirée à M. Chauveau par ce fait que les moutons algériens, réfractaires à l’inoculation d’une petite quantité de virus charbonneux, ne résistent pas à l’inoculation de grandes quantités de ce virus.

Enfin, une troisième théorie, formulée d’abord par M. Bouchard, qui invoqua, pour expliquer l’immunité, une modification dynamique consécutive à la première atteinte de la maladie, et qui a été, de la part de M. Gravritz et de M. Metschnikof (d’Odessa), l’objet de bien curieuses tentatives de démonstration, pourrait être dite la théorie de l’adaptation ou de l’entraînement à la résistance. Pour ces derniers auteurs, en effet, l’immunité consisterait en un pouvoir de résistance ou d’adaptation plus grand des cellules des tissus qui les rendrait plus aptes à la « lutte » contre les microbes. M. Metschnikof, interprétant des observations dans lesquelles il a vu les cellules blanches du sang, ou leucocytes, contenant dans leur intérieur des microbes préalablement injectés dans le sang, pense que ces cellules ont, dans l’organisme, ce rôle spécial de détruire les parasites qui peuvent l’envahir : d’où le nom de cellules voraces ou phagocytes qu’il leur appliqua ; d’où aussi cette théorie que, ai les bactéries atténuées ne sont pas virulentes, c’est parce qu’elles se laissent dévorer par les leucocytes ; que les bactéries non atténuées sont virulentes parce qu’elles sécrètent un poison qui les paralyse ; et que les inoculations préventives à l’aide de virus atténués confèrent l’immunité, parce que les leucocytes, habitués à la lutte contre les microbes par un premier conflit, dont ils sont sortis Victorieux, avec les microbes atténués, affaiblis, sont dès lors en état d’absorber et de digérer les microbes les plus virulens. En somme, le phénomène se réduirait à un simple fait de mithridatisme pour ces cellules voraces, qui pourraient ainsi s’accoutumer progressivement aux poisons sécrétés par les microbes dangereux.

Toutes ces théories sont certainement ingénieuses, et toutes elles peuvent s’appuyer sur des faits bien observés, qui paraissent les justifier. Peut-être y a-t-il dans les unes et les autres quelque part de vérité, car les phénomènes de la vie sont toujours très complexes. Cependant de récentes expériences, sur un nouveau procédé de vaccination contre les maladies infectieuses, sont venue » éclairer singulièrement ce mystérieux mécanisme de l’immunité, et apporter un appoint sérieux à la théorie dite du contre-poison.