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plus funestes que des défaites. Reconquérir le prestige perdu, dût-on le payer un peu cher, telle est la mission tacitement confiée à Dizzy par le peuple anglais. By Jove, on a gagné assez d’argent depuis vingt ans !

Dans le coin à gauche le plus éloigné du speaker s’entasse la députation irlandaise. Sur ces bancs, des figures nouvelles et menaçantes font pressentir que les beaux jours du professeur Butt et de son home-rule à l’eau de rose sont désormais passés. C’est là que se forment les points noirs ; c’est de là que descendront les premiers orages, soufflés par un petit homme aux lunettes de corne, appelé Biggar, et dont on rira ; puis, par un pâlot, aux lèvres serrées, aux colères froides, qui a nom Parnell, et dont on ne rira pas.

Tel est le spectacle dont s’amusait le jeune député de Woodstock, dans son coin favori, sur le second banc, derrière Disraeli.

Il prononça son premier discours le 22 mai, pour combattre la création d’un centre militaire à Oxford. En lui répondant, sir William Harcourt le félicita, suivant l’usage, des promesses de talent que contenait son début : compliment vulgaire qui devait, pour lord Randolph, se réaliser bien au-delà des prévisions et des désirs du donneur d’éloges ! A quelques mois de là, le vrai Randolph Churchill se dévoila inopinément. C’était un soir, la discussion roulait sur un bill qui prétendait réorganiser les pouvoirs locaux. Elle se traînait, ennuyeuse et vide, de non-sens en banalité, sous la direction du président du Local Government Board, le très honorable et très nul… Mais pourquoi le désigner plus clairement ? Ses vrais noms sont la routine administrative et l’infatuation ministérielle. Et voici que tout à coup on vit ce jeune homme debout, guerroyant contre ce que Carlyle eût appelé des nonentities et des unrealities, démolissant gaîment, en vrai gamin, cette pauvre petite loi, insidieuse et mesquine, bonasse et décevante, qui accordait d’une main, retirait de l’autre, annulait et paralysait par ses articles le principe qu’elle avait posé dans son préambule. « Les ministres, observait Randolph Churchill, s’imaginent tromper le peuple, et se trompent eux-mêmes… Je n’ai rien à dire contre le président du Local Government Board lorsqu’il vient discuter le traitement des inspecteurs des contraventions ou les attributions des bedeaux de paroisses. Mais je me fâche lorsqu’il se présente sous les apparences d’un grand législateur, et prétend réparer, avec ses petites méthodes et ses petites idées, les brèches de la constitution britannique. » Le succès de cette algarade fut grand, le scandale plus grand encore. Dans le camp libéral, l’indiscipline était la règle, mais elle était l’exception chez les tories. Aussi quelle rumeur au banc de la trésorerie ! Seul, Disraeli souriait : ce jeune homme