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Carlton-Club de Cambridge. Il sentit que la jeunesse intelligente, que les masses populaires étaient avec lui, qu’un mouvement d’opinion, puissant, formidable, se dessinait dans le parti pour imposer à ses chefs une offensive vigoureuse au lieu d’une indécise et molle défensive. Il resta donc sur la brèche. Il était le président, mieux encore, le héros de la Primrose-League, qui s’étendait comme une traînée de poudre de Londres jusqu’au dernier hameau. A tort ou à raison, la foule voyait en lui la réincarnation de Beaconsfield, elle le revêtait de tout le prestige qui manquait à ses leaders. Une réconciliation s’imposait : elle eut lieu vers la fin de 1884, et le parti conservateur, désormais uni, marcha plus résolument à la conquête du pouvoir.

Personne n’avait contribué plus que Randolph Churchill à diminuer l’ascendant du grand chef libéral. Avant lui, nul n’osait se moquer de Gladstone ; après lui, tout le monde s’en mêla. Le premier, il s’égaya de ces phrases filandreuses et vides, dénonça les ambiguïtés d’expression qui cachaient des incohérences de pensée, rompit le charme sous lequel l’assemblée était comme enchaînée quand le magicien parlait, s’enveloppant dans un brouillard oratoire où filtrait sa pensée comme le reflet vague et diffus d’une lune invisible. Il le fit voir, dans son laboratoire politique, préparant, avec son fils, de mesquines mises en scène, et rivalisant de charlatanisme avec ces industriels qui bariolent les murs et encombrent les journaux de leurs réclames. Jusqu’au passe-temps inoffensif et hygiénique du bûcheron-amateur qui devenait le symbole de sa manie destructive ! Rien n’était sacré pour la hache de Gladstone : après les chênes de Hawarden, la chambre des lords et l’église établie. Surtout lord Randolph ne se lassait pas de le montrer à ce peuple anglais, si jaloux de sa foi religieuse et de son honneur militaire, comme l’homme qui avait soutenu Bradlaugh et abandonné Gordon. Dans un grand discours prononcé à How, il expliqua aux électeurs épouvantés que M. Gladstone avait eu, successivement, dix politiques en Irlande, neuf dans l’Asie centrale, dix-huit en Égypte, en tout trente-sept politiques différentes. L’orateur énuméra et caractérisa, une à une, ces trente-sept politiques. « Et maintenant, s’écria-t-il, voulez-vous savoir combien elles vous ont coûté ? Pour les dix politiques irlandaises, 1 million de livres sterling ajouté, chaque année, aux charges publiques. Pour les dix-huit politiques égyptiennes, 10 millions 1/2 de livres en crédits de guerre et en budget extraordinaire ; plus, la garantie d’un impôt de 8 millions contracté par le khédive ; plus, l’abandon des coupons des actions de Suez ; plus, les frais d’occupation militaire, qui devaient être remboursés et ne l’ont pas été.