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élu dans le Nord, dans la Somme, dans la Charente-Inférieure, comme il l’a été déjà dans la Dordogne et à peu près dans l’Aisne, comme il le serait peut-être ailleurs, s’il se présentait, par cette raison assez ridicule, si l’on veut, que rien ne réussit comme le succès. Voilà le résultat qui a visiblement quelque peu abasourdi les républicains ministériels, radicaux ou opportunistes, qui ne s’y attendaient pas ; et le plus plaisant, s’il y a quelque chose de plaisant dans cette aventure, c’est que les uns et les autres, au lieu de se mettre franchement en face de la réalité, croient se tirer d’embarras par des subtilités et des équivoques ou par de dédaigneuses fatuités. Ils ont leur manière d’interpréter les événemens qui déconcertent leurs calculs et leur optimisme. Ils morigènent le suffrage universel, et au besoin ils le menacent de le mettre en pénitence pour expier ses péchés. Ils se rassurent d’ailleurs en se répétant à eux-mêmes que le scrutin du 19 août a l’avantage d’avoir dissipé tous les doutes, que M. Boulanger, désormais démasqué, n’est plus qu’un bonapartiste de plus au camp réactionnaire, que les républicains maîtres du pouvoir n’ont qu’à unir leurs forces et à se concentrer pour ressaisir la victoire. Tout cela est bel et bien. On peut épiloguer, équivoquer tant qu’on voudra, compter même, si l’on y tient, sur l’éclipse prochaine d’une popularité improvisée, M. Floquet peut faire des phrases, les journaux qui le soutiennent peuvent épuiser leur verve pour donner le change sur la réalité des choses. Le fait n’est pas moins là, simple, brutal, peut-être assez redoutable par son caractère comme par ses conséquences possibles, et ceux, qui perdent leur temps et leur esprit dans des arguties de polémiques mêlées de quelques menaces ne s’aperçoivent pas qu’ils ne trompent ou n’intimident personne, qu’avec leurs explications ils n’expliquent rien. Ils ne voient pas que ce qui fait le succès du général Boulanger, c’est précisément qu’il n’est d’aucun parti, ni réactionnaire, ni républicain, quoiqu’il parle autant qu’un autre de la république, que sa force tient à ce qu’il y a de vague et d’inconnu dans cette apparition soudaine au milieu de nos discordes et de nos lassitudes. Ils se contentent de divaguer devant un phénomène qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne veulent pas comprendre. Ils ne reconnaissent pas, même encore aujourd’hui, devant une expérience criante, que c’est par eux, par leurs œuvres, par leur politique de désorganisation, par leurs violences et leurs imprévoyances, qu’a été créée la situation où une fortune semblable a pu naître et grandir.

Oui, assurément, ce qui fait le succès de ces candidatures multiples, voyageuses, bruyantes, est clair comme le jour. Ils élections de M. le général Boulanger réussissent, non parce qu’elles sont l’œuvre d’un parti, comme on le dit, ou parce, que celui qui en est le héros inspire une vraie confiance, mais parce qu’elles sont l’occasion toute trouvée d’une protestation spontanée, peut-être même parfois assez irréfléchie,