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qu’il régnerait sur l’autre. » Il semble, d’après les documens que nous avons cités, d’après les assurances données plus tard par le jeune roi, d’après les faits eux-mêmes, qu’il abandonna sincèrement et complètement cette idée pour suivre, sans restriction, les conseils de son aïeul. Mais les violens désirs d’Elisabeth Farnèse, les perfides insinuations d’Albéroni, inspirèrent au faible monarque des réflexions, des regrets, des remords qui la firent renaître et grandir. Ce fut elle qui enfanta, ainsi qu’on l’a fait remarquer, la conspiration de Cellamare ; ce fut elle encore qui porta follement Philippe V, lorsque après avoir abdiqué, en 1724, pour se consacrer au service de Dieu, il eut repris le pouvoir devenu vacant par la mort de son fils, à méconnaître le plus sacré des engagemens, à prendre, en secret et de longue main, des mesures criminelles pour devenir le successeur de Louis XV. En 1718, il n’aspirait qu’à gouverner le royaume de France pendant la minorité de son neveu ; quelques années plus tard, la régence ne lui suffit plus : il rêve à la couronne.

« Louis XV, — raconte Duclos dans ses mémoires secrets, — ayant eu la petite vérole au mois d’octobre 1728, et le courrier ayant manqué un jour en Espagne, Philippe V supposa que le roi, son neveu, était mort. Il fit aussitôt assembler la junte et déclara qu’il allait passer en France avec le second de ses fils, laissant la couronne d’Espagne an prince des Asturies, qui fit, dans la chapelle, sa renonciation en forme à celle de France. Les ordres étaient donnés pour partir le lendemain ; mais le courrier apporta, au moment du départ, la nouvelle de la convalescence du roi. Je tiens ce fait de la duchesse de Saint-Pierre, dame du palais de la reine d’Espagne. » Les patientes recherches d’un publiciste de mérite, M. Alfred Baudrillart, ont découvert récemment, dans les papiers d’état que renferment les archives d’Alcala de Hénarès, les preuves authentiques de cette ténébreuse intrigue. L’intéressante étude qu’il a publiée, l’année dernière, dans la Revue des questions historiques, nous en montre clairement toute la trame mystérieusement conçue, habilement et prudemment ourdie. Elle nous fait connaître les négociations conduites, en Espagne et en France, par l’abbé de Montgon, que le cardinal de Fleury méditait d’envoyer à Madrid pour ménager la réconciliation des deux cours, après le brusque départ de l’infante, par l’archevêque d’Amida, confesseur et confident d’Elisabeth Farnèse, par la duchesse de Saint-Pierre, sœur du marquis de Torcy, devenue dame du palais d’Elisabeth, et d’autres comparses de moindre importance ; les avis, les encouragemens de toute sorte qui arrivent de France, qui invoquent, en faveur de Philippe V, les droits imprescriptibles de sa naissance et les lois fondamentales du royaume, qui l’assurent du