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l’ombre toutes ces chimères qui n’en fussent point sorties, sans doute, si Philippe V, moins affaissé, moins irrésolu, moins timide, n’eût pas été l’esclave soumis et respectueux de l’ardente ambition d’Elisabeth. Fleury, tout en déclarant « qu’il serait toujours fidèle au sang de Louis XIV, » fit réclamer et obtint, en partie, la restitution des lettres compromettantes qu’il avait écrites. Le 4 septembre 1729, il annonça, lui-même, au roi d’Espagne la naissance du dauphin, qui dissipa pour toujours les téméraires illusions de Philippe V.

S’il est assurément fort douteux que Benoît XIII eût jamais consenti à relever le petit-fils de Louis XIV du serment solennel qu’il avait prêté, le 5 novembre 1719, devant les cortès de son royaume, il est absolument certain que la renonciation des Bourbons d’Espagne au trône de France, aussi bien que la loi constitutionnelle qui consacre, par ordre de primogéniture, le droit des infantes à la succession royale, ont conservé toute leur autorité, toute leur vigueur. Ce furent elles que Guizot, Bresson, Aberdeen, Palmerston, Narvaez, Isturitz invoquèrent tour à tour, pendant les longues négociations relatives aux mariages espagnols (1843-1847), lorsqu’ils plaidaient, avec un zèle éloquent, les causes illustres confiées à leurs soins. Ce fut au nom des traités d’Utrecht que le gouvernement anglais combattit l’union d’un prince de France avec l’infante Isabelle, union si désirée, un instant, par la reine douairière. C’est en vertu du droit incontestable des infantes que règne maintenant à Madrid le petit-fils de la reine Isabelle, sous la tutelle d’une princesse habile et charmante qu’embellissent toutes les grâces, que le peuple espagnol aime loyalement, comme il aimait jadis la première femme de Philippe V, la douce et vaillante Louise-Marie de Savoie.

Aucun homme impartial ne refuse ses égards aux convictions sincères ; mais il lui est permis de les trouver d’autant plus respectables qu’elles reposent sur des preuves écrites, sur des faits acquis, sur des droits certains. Nous avons cherché consciencieusement et sans parti-pris, étant absolument désintéressé dans cette grave question, les titres formels qui pourraient légitimer la prétention des descendans de don Carlos aux trônes de France et d’Espagne, expliquer les illusions fidèles de leurs partisans ; nous ne les avons pas découverts. Il semble bien difficile de ne pas être convaincu, quand on a lu attentivement et sérieusement l’histoire, qu’elles sont essentiellement contraires au droit constitutionnel de l’Espagne, au droit international de l’Europe.


COURCY.