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du moins, Alceste, d’abord, ne mesure pas l’étendue. Mais cette phrase à peine lancée, les visions douloureuses assiègent l’âme de la jeune femme. Sa mort sauvera son époux ; mais, morte elle-même, elle sera séparée de lui. La mélodie s’attendrit sur les mots : Il faut donc renoncer… au plaisir de l’aimer, au bonheur de te voir ? Puis, nouveaux retours de courage, et encore : Non, ce n’est point un sacrifice ! Mais, cette fois, la phrase ne s’achève pas. Une image plus poignante passe devant Alceste : ses enfans. Oh ! alors, son cœur maternel se fond dans un sanglot. La gradation des deux douleurs est juste, et Gluck pourrait en appeler ici à toutes les mères.

Des voix infernales réclament la reine. Elle leur répond par l’air fameux : Divinités du Styx ! Alceste n’a plus ni crainte ni faiblesse. L’enfer a beau lui lancer les terribles notes de cuivre qui tentent de couvrir sa voix, elle reste la plus forte. Avec orgueil elle refuse toute pitié, elle goûte dans leur plénitude les délices du dévouaient et de l’immolation. L’air : Divinités du Styx, n’est qu’un cri de triomphe. Par lui finit cette longue scène, où Gluck a exprimé avec toutes ses nuances et dans son entière progression la lutte d’un héroïque amour.

Le second acte commence à trahir le défaut de l’œuvre, et des œuvres de Gluck en général : la monotonie dans la grandeur. Presque rien de plus dans cet acte que dans le précédent. Tandis qu’Alceste continue ses apprêts de mort, nous faisons connaissance avec Admète, guéri et content. Lui aussi pourrait dire avec le héros de la tragédie : vous voyez devant vous un prince déplorable. C’est un pauvre homme. Il devrait savoir, supposer au moins, étant donné les dieux de l’époque, ce qu’a pu coûter son rétablissement. Mais il ne cherche pas qui se sacrifie pour lui ; il jouit sans arrière-pensée d’un dévoûment anonyme, et reçoit tranquillement, couronné de fleurs, les congratulations d’un peuple d’ailleurs aussi insouciant que lui-même. Assise à ses côtés, Alceste ramène sur son visage un pli de son voile ; elle détourne les yeux et dévore ses larmes. O dieux, soutenez mon courage ! La reine pleure tout bas, sans affectation, sans ostentation. Elle a la pudeur de son sacrifice. Une mélodie de flûte se traîne plaintive, accompagnant à la fois la pantomime des jeunes Thessaliennes et les sanglots de leur souveraine.

Admète enfin s’aperçoit du trouble de la reine et l’interroge. Berlioz, qui comprenait admirablement Alceste, a remarqué que cet air d’Admète exprime la joie du retour à la vie ; c’est un air de convalescent, un peu d’égoïste. Puis commencent de longs et beaux récits. Admète s’étonne, s’inquiète de plus en plus, et chaque nuance du crescendo se marque par de brefs accens d’orchestre :