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ils sont haletans,.. ils s’aiment,.. comprenez-vous,.. ils s’aiment ? Qu’y a-t-il de commun entre un tel duo d’amour et ces fades duos d’époux unis par un mariage de convenance ! »

Certainement nous comprenons ; certainement Léonore et Florestan s’aiment ; et pourtant ce duo ne paraît plus aujourd’hui le dernier mot de l’amour. Nous serons plus émus, plus troublés par d’autres, par le duo des Huguenots ou celui de l’Africaine, par le duo de Lohengrin, ceux de Faust ou de Roméo. C’est Meyerbeer, je crois, qui va nous révéler en musique, — au moins dans la musique de théâtre, — l’amour le plus complet, le plus passionné et le plus chaste à la fois qui jamais ait possédé les âmes.


III

De Beethoven à Meyerbeer, quel intervalle dans l’histoire de la musique d’amour ! Entre ces deux noms, n’y a-t-il pas d’autres noms, et des plus glorieux : au théâtre, Weber et Rossini, par exemple ? Mais l’un et l’autre étaient à leur place dans notre dernière étude plutôt que dans celle-ci. La nature encore plus que l’amour domine le Freischütz. Le duo bien sage, bien modeste, d’Arnold et de Mathilde : Il est donc sorti de son âme ! n’est qu’un détail aimable de Guillaume Tell. Le Barbier est infiniment plus spirituel que tendre, et les beautés d’Otello (le dernier acte) sont surtout terribles.

Il est deux maîtres, étrangers ou presque étrangers au théâtre, qu’il faut au moins nommer ici, deux maîtres très grands en de petites choses : Schubert et Schumann. Ils ont fait en quelques pages, parfois en quelques mesures, des drames poignans et de ravissans poèmes. Il suffit de rappeler les innombrables lieder de Schubert ou de Schumann pour n’être point accusé d’oublier ces deux musiciens admirables, et le plus souvent désolés, des choses du cœur. Tous deux mériteraient une étude commune, et pour ainsi dire fraternelle. Mais ils sont en dehors, peut-être au-dessus du théâtre, et n’ont point à paraître ici.

Quels détours fait notre route, et comme il faut suivre sans rigueur les caprices de notre sujet ! A peine la sensualité de Mozart s’est-elle purifiée chez Beethoven, que nous rencontrons encore une œuvre pure. Meyerbeer a été chaste dans Robert le Diable, dans le Prophète et dans les Huguenots. Nous le verrons changer de note dans l’Africaine, et cette variété ou cet éclectisme n’est pas le moindre honneur de son génie. Il est de mode aujourd’hui, dans un certain monde, de décrier Meyerbeer. Mais « qu’est-ce que ça lui fait ! » comme répondait, je crois, M. Ingres à quelque agresseur obscur de Raphaël. L’auteur des Huguenots n’en reste pas