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Dominique Ghirlandajo, et plus loin encore, chez Cosimo Roselli, chez le Beato et Simone Memmi ! Quel exemple ! Cet extraordinaire courage fut récompensé, et Zurbaran trouva là les modèles de cette sobriété austère des lignes, de ce dessin chaste et tranquille, de ces naïves physionomies, enfin de tout cet archaïsme charmant qui s’étale dans ses tableaux de la chartreuse de Las Cuevas. Personne, en Espagne, n’avait connu cet art-là. Car nous sommes ici à mille lieues de Moralès, et l’on peut voir encore à Tolède, par une fresque de Juan Alfort, ce que c’est que l’imagerie des primitifs Espagnols. Mais la vieille Toscane et l’Ombrie étaient une terre natale pour le descendant de Fra Angelico, et il ranima leurs suaves inspirations avec la science de son époque et la vigueur de son tempérament. Et voyez tout de suite la différence profonde des deux génies, l’espagnol et l’italien. Celui-ci, la plupart du temps, se contente d’incarner ses rêves mystiques dans des scènes du Nouveau-Testament. Rarement il ose aborder la légende des saints, et dans celle-ci il choisit des souvenirs particulièrement pieux, touchans ou solennels.

L’Espagnol, lui, va droit aux sujets familiers. Ainsi, l’un de ces tableaux de la chartreuse, transportés au musée de Séville, nous montre saint Hugues, évêque de Grenoble, qui arrive dans un monastère au moment du repas, et trouve les pères attablés au réfectoire. C’est un jour d’abstinence, et les provisions ayant manqué, les moines allaient se contenter d’herbes cuites, lorsque l’évêque survient et change ces tristes mets en poissons et en tortues. Certes, les gens qui voient l’idéal de l’art religieux dans la peinture du XVe siècle, les préraphaélites comme on les a nommés, seront ici pleinement satisfaits. Cette simplicité décomposition, ces figures si calmes dans leurs attitudes, dessinées avec précision, mais modelées par plans sommaires et avec une sorte de raideur sculpturale ; ces têtes de religieux, d’une douce et candide gravité et d’un type uniforme, comme chez tous les gothiques ; enfin, cette peinture sans profondeur et d’un coloris mat, dénué de demi-teintes, comme dans les anciens tableaux à la détrempe ; tout enfin, dans la pensée comme dans l’exécution, est de l’archaïsme le plus heureux. Mais, en même temps, quelle puissance de vie, quelle vérité humaine ! Mieux encore qu’aux vieux Florentins, je comparerais cette peinture à celle de Jean Van Eyck, que Zurbaran n’a sans doute jamais vue.

Les essais de notre peintre, ses efforts, ses transformations successives, sont aussi bons à contempler que ses œuvres mêmes, par le spectacle de ce que peuvent la bonne foi et la persévérance au service du talent. Il faut le voir subir tour à tour diverses influences