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Majesté. » Frédéric-Guillaume, en effet, malgré sa tendresse pour la Russie, n’était pas fâché de la leçon infligée à sa diplomatie. « On trouve toujours dans l’adversité de ses amis quelque chose qui ne déplaît pas, » a dit La Rochefoucauld.

Notre envoyé fut moins bien inspiré, quelques mois plus tard, en voulant célébrer solennellement et publiquement la fête du 15 août. Il est vrai que le département des affaires étrangères en avait fait en quelque sorte un devoir à ses agens, en leur rappelant, dans une circulaire ambiguë, que le 15 août était une date nationale. La circulaire était impolitique, intempestive. C’était une aberration de vouloir célébrer à l’étranger, publiquement, nos gloires passées. L’empire, qui partout inspirait les plus vives appréhensions, n’était pas encore proclamé, et tout indiquait qu’il ne serait pas reconnu sans résistance : la sagesse nous prescrivait la modestie, l’effacement. Mais M. de Varenne, travaillé par la goutte, était à ce moment d’humeur batailleuse ; au lieu d’interpréter ses instructions dans le sens le plus étroit en les adaptant aux circonstances, un instant il perdit son sang-froid habituel. Il voulut faire chanter un Te Deum dans l’église Sainte-Edwige, donner un grand banquet, et terminer la fête par une brillante illumination de la façade de la légation, sans se demander si ces démonstrations ne raviveraient pas à Berlin de fâcheux souvenirs : l’occupation française après Iéna. — Il allait gratuitement au-devant d’une défaite et nous exposait à un conflit diplomatique.

Le gouvernement prussien était résolu, en effet, à ne tolérer aucune manifestation extérieure, et il nous revenait de bonne source que les ministres et les dignitaires de la cour déclineraient, de par ordre du roi, toute invitation. Pour colorer leur refus éventuel, ils affectaient subitement des goûts champêtres ; déjà le président du conseil, le baron de Manteuffel, était parti pour sa terre de Lusace. M. de Varenne n’en persistait pas moins à vouloir célébrer avec éclat la fête du 15 août. Il fallut la croix et la bannière pour tempérer son ardeur, car, sous l’impression de la malencontreuse dépêche, il avait hâtivement commandé les illuminations et arrêté avec son chef le menu d’un somptueux festin.

Un ambassadeur jouit dans son hôtel du bénéfice de l’exterritorialité ; il peut y fêter son souverain comme bon lui semble. Il ne saurait se livrer à des démonstrations nationales dans une église, sans l’assentiment du gouvernement auprès duquel il est accrédité. M. de Varenne n’était pas de cet avis ; il invoquait ses immunités diplomatiques : il n’admettait pas qu’on pût s’opposer à un service divin ; il tenait à un Te Deum, il voulait des fleurs à profusion, des tentures, et des chants avec accompagnement d’orchestre.